Le Vent de la Chine Numéro 31 (2024)

du 13 au 19 octobre 2024

Editorial : La frénésie retombe
La frénésie retombe

Après les grandes annonces formulées par la Banque Centrale avant les vacances nationales, la frénésie commence à retomber. Les boursicoteurs (souvent de la « génération Z ») qui avaient ouvert un compte en  actions spécialement pour capitaliser sur ce boom annoncé (+30% depuis fin septembre), ont vu leurs espoirs déçus par une réunion le 8 octobre de la puissante agence de planification, la Commission nationale pour le développement et la réforme (NDRC), ne dévoilant rien de nouveau.

Pour ménager les nerfs des petits porteurs et leur épargner des pertes plus conséquentes, la très attendue conférence de presse du ministère des Finances a finalement été programmée le samedi 12 octobre, un jour de fermeture des marchés. Et grand bien leur a pris, car là encore, aucun nouveau chiffre n’a été révélé. Le ministre, Lan Fo’an, a néanmoins laissé entendre que « le gouvernement a encore largement de quoi emprunter et augmenter son déficit fiscal ».

Et pour cause, la plupart des analystes s’accordent à dire que Pékin pourrait émettre jusqu’à 2 000 milliards de yuans (soit 283 milliards de $) d’obligations souveraines supplémentaires. Mais cette mesure nécessitera l’approbation du Comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP), qui se réunira un peu plus tard en octobre, d’où le décalage entre les annonces récentes et les attentes immenses des investisseurs.

Un certain flottement est néanmoins perceptible au sommet, semblable à celui qui a suivi la fin abrupte de la politique « zéro-Covid » en novembre 2022, réalisée sans aucun préparatif. En effet, tout suggère que ce stimulus économique a été décidé au plus haut niveau, sans qu’un véritable plan de relance n’ait été mis sur pied au préalable. Ce genre de revirement est une conséquence désormais visible par tous de la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme – une situation qui sera amenée à se reproduire si cette tendance se poursuit.

Ainsi, ce manque de préparation est probablement la raison pour laquelle le Premier ministre, Li Qiang, convoquait encore une fois cette semaine les meilleurs économistes du pays lors d’un symposium, en promettant « d’écouter les voix du marché ».

C’est ce qui poussent certains d’entre eux à appeler à la patience et à sortir de la logique traditionnelle qui veut que l’on juge la taille d’un stimulus à ses milliards dépensés. « Certaines lois qui vont être adoptées, comme celle sur la protection du secteur privé, seront tout aussi importantes », juge Dong Yu, ancien cadre à la Commission Centrale des Affaires Économiques et Financières.

Même si certains observateurs doutent de la portée de cette loi, l’économiste touche néanmoins là à un point sensible. En effet, le secteur privé représente 60% du PIB du pays et 80% des emplois. Mais depuis la reprise en main des géants de la tech en 2019, suivie de celle des promoteurs de l’immobilier et de celle des acteurs du soutien scolaire, la confiance des patrons est au plus bas.

Et jusqu’à présent, les efforts (essentiellement rhétoriques) du gouvernement n’ont rien fait pour les rassurer, encore moins l’objectif de « prospérité commune », qui les a contraints à faire d’énormes donations caritatives au moment même où ils licenciaient des milliers de leurs employés. Dans un tel contexte, pas étonnant que le titre d’homme le plus riche de Chine (actuellement détenu par Pony Ma, fondateur de Tencent) fasse davantage trembler que rêver.

En parallèle, le grand programme de prime à la casse de vieilles voitures, d’appareils électroménagers et d’équipements industriels obsolètes, est certes le bienvenu, mais reste insuffisant pour relancer durablement la consommation, gros point noir de la situation économique actuelle. Les ménages – enfin ceux qui peuvent se le permettre – préfèrent encore épargner que dépenser comme ils le faisaient auparavant. Preuve en est : le million de restaurants qui ont fermé à travers le pays les six premiers mois de 2024, dont de nombreux établissements gastronomiques. C’est presque autant de fermetures que durant toute l’année 2023. C’est sans compter les nombreuses fermetures sans préavis de salles de sport ou de jardins d’enfants, laissant employés et clients sur le carreau…

Une chose est sûre : la Chine n’a pas tant besoin de milliards de yuans injectés indirectement, ici et là, dans son économie, que de mesures concrètes pour renforcer la sécurité sociale des groupes les plus vulnérables et desserrer l’étau (politique et réglementaire) qui étouffe les entreprises privées à un moment où le pays a peut-être le plus besoin d’elles.