Les « mesures de prévention et de contrôle de l’épidémie » (疫情防控, yì qíng fáng kòng), expression brandie dans tous les discours sur la politique « zéro Covid », en plus de protéger les Chinois d‘un dangereux virus, contribuent aussi à d’heureux dénouements comme celui qui s’est produit en avril dernier dans la ville-préfecture de Zhengzhou, capitale de la province du Henan.
Le 26 avril 2022, Zhang Shan, son casque orange sur la tête, a quitté tôt le chantier sur lequel il travaille pour faire le pied de grue devant une porte close, celle du logement de son fils, Zhang Yang. Cette adresse, il l’a obtenue après de longs pourparlers avec la police locale, muni de son hukou (户口 – passeport intérieur chinois) et de sa carte d’identité. Habituellement peu enclins à aider un migrant, ces derniers se sont émus de la volonté de ce père sans nouvelles de son fils depuis huit ans, et peut-être réunis grâce à un test PCR.
Zhang Yang a les tempes blanchies, les mains calleuses et les ongles noirs. Son visage, vieilli avant l’âge, porte les stigmates d’une vie de labeur, celles d’un travailleur migrant (民工, míngōng) employé dès ses quinze ans dans des fermes aux alentours de sa ville natale de Luohe, puis sur des sites de construction dans des grosses métropoles.
Cantonné aux emplois 3D (Dangereux, Difficiles et Déplaisants), rentré chez lui une à deux fois par an, il a appris très tôt la valeur du travail. Tout cela, il l’a enduré pour faire vivre sa femme, et permettre à son fils unique de continuer ses études, d’avoir accès à des emplois mieux rémunérés que le sien, de bien se marier. Alors, quand l’addiction du fils aux jeux vidéo en ligne ne fait plus aucun doute, quand il abandonne l’école et dépense son salaire dans des cafés internet, la colère monte et les disputes se multiplient.
Il y a huit ans, après une altercation plus violente que les autres, son fils est parti sans plus donner signe de vie. Après avoir rapporté sa disparition à la police et sans nouvelles de leur unique fils, les parents l’ont cherché partout, sans relâche, maudissant ces nouvelles technologies responsables du malheur de leur foyer.
Zhang Shan et sa femme pensent à Zhengzhou comme abri possible pour leur fils. Il y a déjà travaillé, il connaît la ville. Alors pendant huit ans, Zhang Shan se fait embaucher sur des chantiers de construction à Zhengzhou et passe son temps libre à écumer les cybercafés dans l’espoir de tomber sur son fils et oublier d’un coup tous ces réveillons du Nouvel An, cloîtrés chez eux, sa femme et lui, à éviter les visites de la famille et des amis (拜访亲戚, bàifǎng qīnqi) pour ne pas avoir à raconter leurs démarches infructueuses…
Combien de fois le film de la dernière querelle est passé et repassé devant leurs yeux : « Vous n’avez pas à vous soucier de mes affaires et si vous en avez marre de moi, je pars demain ! » avait lancé Zhang Yang à ses parents. « Si tu veux partir, fais-le et ne reviens jamais ! » lui avait répondu son père, furieux. « Une parole qui s’échappe ne peut être rattrapée » (一言既出,驷马难追, yì yán jì chū, sì mǎ nán zhuī), dit le proverbe. Le couple a eu huit longues années pour le méditer.
Satisfait de voir le gouvernement prendre enfin à bras le corps le problème de l’addiction des jeunes aux jeux vidéo, « opium spirituel » selon les médias d’État, Zhang Shan décide début 2022, une fois passées les festivités du Nouvel An, de retourner encore une fois à Zhengzhou, cette fois-ci comme maçon sur un site de construction.
Lors du premier test nucléique de masse organisé dans la ville, un ami lui montre comment avoir accès aux résultats des autres membres de sa famille sur son téléphone via l’application Alipay. Ô miracle des nouvelles technologies ! Ceux de son fils y apparaissent … à Zhengzhou. Après l’immense soulagement de savoir Zhang Yang en vie, il retrouve son adresse avec l’aide des autorités.
Enfin, voici Zhang Shan devant ledit logement. Le fils rentre du travail et le reconnaît. Embrassades, larmes, le fils a grossi, le père a blanchi. Aux “pourquoi” de son père, Zhang Yang baisse la tête. Il n’a pas osé rentrer chez lui… À 33 ans, sans femme ni enfants, de quoi seraient fiers ses parents ? Mais pour son père, plus rien ne compte que le bonheur de retrouver son fils, de le savoir désormais travailleur et sorti de son addiction.
Dur état que celui de père, ni métier ni vocation. Plutôt partisan d’une éducation traditionnelle, Zhang Shan exhorte aujourd’hui à plus de souplesse. Si le monde digital n’est pas entièrement à jeter puisqu’il lui a permis de retrouver son fils, la communication entre générations, elle aussi, demande de l’adresse et de la nuance, au risque de courir longtemps après les paroles échappées et les fils rebelles…
Par Marie-Astrid Prache
1 Commentaire
severy
19 septembre 2022 à 23:58Bon article bien écrit.