Editorial : 970 jours plus tard

970 jours plus tard

Cela faisait presque trois ans, depuis le début de la pandémie en janvier 2020, que le Président Xi Jinping n’avait plus quitté la Chine. Le dirigeant a finalement choisi de sortir de sa bulle sanitaire en se rendant au Kazakhstan le 14 septembre, pays où il avait inauguré son initiative « BRI » en 2013, puis en Ouzbékistan les 15 et 16 septembre pour participer au sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (SCO).

Avant lui, seuls le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, son supérieur Yang Jiechi, le vice-président Wang Qishan, et le n°3 du Parti Li Zhanshu, s’étaient tour à tour aventurés hors frontières, signalant qu’un déplacement à l’international de Xi Jinping n’était qu’une question de temps, après une courte escapade à Hong Kong en juillet dernier.

Le fait que Xi Jinping n’ait pas daigné attendre la tenue du XXème Congrès du Parti (16 octobre) avant de s’envoler à l’étranger a pris de court les observateurs, qui misaient plutôt sur un grand retour du président chinois sur la scène internationale à l’occasion du G20 de Bali et du sommet de l’APEC à Bangkok mi-novembre.

En effet, avant même la Covid-19, les leaders chinois préféraient remettre leurs déplacements hors frontières à plus tard de manière à se concentrer sur l’événement politique majeur pour les cinq années à venir. Ce n’est qu’une fois le conclave terminé que les dirigeants s’accordaient un voyage à l’international, en guise de tour d’honneur.

Ce voyage anticipé signifie que l’actuel Secrétaire général du Parti est confiant quant à sa réélection lors du prochain Congrès et ne craint pas d’éventuelles manigances visant à l’évincer en son absence. 

En s’envolant ainsi à l’étranger, le leader juge aussi que la situation domestique est « sous contrôle », malgré un marché immobilier mal en point, un taux de chômage record chez les jeunes et des confinements à répétition qui suscitent un mécontentement grandissant au sein de la population (cf. Xinjiang, Tibet ).

Mais bien sûr, ce n’est pas parce que Xi se remet à voyager, sous protocole sanitaire strict, que ses 1,4 milliard de concitoyens seront autorisés dans un futur proche à faire de même ! Alors que l’OMS vient de déclarer que la pandémie pourrait bien toucher à sa fin, le pays devrait malgré tout continuer à appliquer sa stratégie « zéro Covid ». Et cela ne changera pas radicalement du jour au lendemain…

Néanmoins, cette évolution est positive dans le sens où elle signale que le leadership juge désormais le risque d’être contaminé par le virus moins important que celui d’être isolé sur la scène internationale. Pékin semble avoir pris conscience que faire de la diplomatie par vidéo-calls ne peut être une solution de long terme et que les échanges en face-à-face sont irremplaçables, particulièrement alors que les chefs d’État du monde entier multiplient les entrevues sans se soucier de la Covid-19. 

Le choix de l’Asie Centrale pour son premier voyage post-Covid n’est pas non plus anodin. Il reflète la priorité croissante accordée par Pékin à ses relations de voisinage, aux pays du « Sud » et plus globalement au monde « non occidental ». C’est dans cet esprit que la Chine souhaite promouvoir les sommets multilatéraux où ses rivaux occidentaux sont absents. C’est le cas de la SCO, sorte d’OTAN eurasiatique qui réunit Chine, Inde, Pakistan, quatre ex-républiques soviétiques (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan) et Russie.

C’est justement sa rencontre en marge du sommet avec son homologue russe Vladimir Poutine (cf. photo) qui a fait les gros titres de la presse internationale. Les deux hommes ne s’étaient plus revus depuis le 4 février dernier, jour de l’inauguration des Jeux Olympiques d’hiver, où ils avaient signé un accord stratégique insistant sur le partenariat « sans limites » entre leurs deux pays, quelques jours avant que le Kremlin ne lance son « opération militaire spéciale » en Ukraine

Cependant, force est de constater que Moscou et Pékin, alignés contre l’hégémonie américaine, ne sont pas exactement sur la même longueur d’onde sur tous les dossiers. En témoigne le surprenant aveu de Vladimir Poutine qui a affirmé « comprendre les questionnements et les inquiétudes du partenaire chinois » au sujet de la crise ukrainienne, alors que le maître du Kremlin cherche à tout prix à obtenir davantage d’assistance (économique, technologique…) de la part de la Chine.

Cette déclaration démontre que le rapport de force entre les deux partenaires s’est inversé : la Chine n’est plus le « petit frère » qu’elle était sous l’ère soviétique. Elle a désormais l’ascendant dans la relation. La grande question est : Xi Jinping va-t-il se servir de cette influence pour orienter les décisions de son « vieil ami » ? Rien n’est moins sûr…

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