Pour le remake du dessin animé Mulan sorti en 1998, les studios Disney n’ont reculé devant rien pour s’assurer d’une première réussie dans l’Empire du Milieu. Avec un budget record de 200 millions de $ pour une adaptation en « live action », la production a opté pour un casting 100% asiatique avec des stars comme Liu Yifei, Gong Li, Jet Li et Donnie Yen. L’équipe a également passé de longues heures à étudier le poème relatant l’histoire de la jeune Hua Mulan (花木兰), se déguisant en homme pour remplacer son père âgé dans l’armée impériale. Afin d’éviter tout anachronisme, la réalisatrice a fait appel à plusieurs historiens et à un expert en stratégie militaire sous la dynastie Tang. Disney a même choisi de soumettre son scénario aux autorités chinoises de manière à s’assurer que le long-métrage passe la censure. Le coronavirus, les mauvaises critiques et les appels au boycott sont venus contrecarrer tous ces efforts…
A cause de la pandémie, la sortie du film, initialement prévue le 27 mars, a été repoussée au 4 septembre sur la plateforme de vidéo-streaming Disney +, indisponible en Chine. Même si la projection dans un peu plus de 40% des salles obscures chinoises était prévue une semaine plus tard (11 septembre), avec une capacité réduite de moitié pour cause de distanciation sociale, plusieurs copies piratées circulaient déjà sur la toile… Et l’accueil du public chinois est très mitigé : sur le site de notation Douban, le film écope d’une note moyenne de 4,9 sur 10 auprès de quelques dizaines de milliers d’internautes. La plupart d’entre eux se plaignent d’inexactitudes factuelles, comme le fait que l’héroïne vive avec ses parents dans un traditionnel « Tulou » du Fujian et non pas dans la province du Henan tel que le veut la légende. Le maquillage de Mulan (cf photo), pourtant d’époque, n’a pas non plus séduit les spectateurs, leur inspirant plus Versailles ou le logo de Huawei, que la dynastie des Wei du Nord (386–534). Ils sont également insatisfaits de la manière dont certains éléments culturels chinois ont été assimilés, le « Qi », flux d’énergie vitale, qui a été transformé en un pouvoir magique ressemblant étrangement à la « Force » dans Star Wars…
À ces critiques s’ajoute l’appel au boycott de plusieurs activistes hongkongais, au motif que l’actrice principale sino-américaine Liu Yifei avait partagé en août 2019 un graphique publié par le Quotidien du Peuple où il était notamment écrit « je soutiens la police hongkongaise » – un post qui a surtout été interprété comme un moyen de booster sa popularité. Selon un internaute, « participer à la propagande du Parti est courant pour les acteurs désireux de faire carrière en Chine ». Depuis lors, le personnage de Mulan est plutôt comparé à l’activiste Agnès Chow (23 ans), arrêtée le 10 août sous le coup de la loi de sécurité nationale… En réaction à ce boycottage à Hong Kong (mais aussi à Taïwan et en Thaïlande), plusieurs spectateurs chinois se sont décidés à soutenir le film de Disney : « je ne comptais pas aller le voir, mais cet appel au boycott vient de réveiller chez moi une flamme patriotique. J’ai décidé d’emmener ma famille entière voir le film, et plutôt deux fois qu’une » !
La polémique autour du film ne s’arrête pas là : dans le générique, la production remercie huit départements gouvernementaux du Xinjiang pour avoir été autorisée à tourner dans le désert à partir d’août 2018 – période où la campagne d’internement des Ouïghours battait son plein dans la région. Parmi elles, le comité de la propagande et le bureau de la sécurité publique de Turpan, qui a fait l’objet de sanctions de la part de l’administration américaine. Espérant peut-être que ce tournage passe inaperçu, le Xinjiang est présenté dans le film comme « le nord-ouest » de la Chine. Raté ! La nouvelle a fait l’effet d’une bombe et les appels au boycott ont redoublé d’intensité… Dans ces conditions, difficile d’imaginer que Mulan sera un succès au box-office. Les médias d’Etat chinois auraient d’ailleurs eu consigne de ne pas couvrir la sortie du film suite à la controverse…
On peut bien sûr s’interroger sur les motifs qui ont poussé les studios Disney à réadapter la légende de Mulan dans un contexte de tensions grandissantes entre Pékin et Washington, ou à choisir le Xinjiang comme lieu de tournage. Car au final, Disney perd sur les deux tableaux : il fait les frais de sa complaisance envers les autorités chinoises en Occident, mais ne remporte pour autant pas les cœurs en Chine. D’une certaine manière, les studios Disney, mais aussi toutes les productions hollywoodiennes, se retrouvent dos au mur : le box-office chinois étant amené à dépasser celui américain cette année – les cinémas à travers les Etats-Unis étant toujours fermés à cause du Covid-19 – les studios américains risquent de devenir encore plus dépendants du marché chinois à l’avenir. C’est encore plus vrai pour Disney qui a ouvert un gigantesque parc d’attractions à Shanghai en 2016, mais aussi pour Universal Studios qui s’apprête à inaugurer le sien à Pékin en mai 2021… Au final, à défaut de remporter le prix du jury, Mulan remporte haut la main la Palme d’or de la controverse.
1 Commentaire
severy
13 septembre 2020 à 21:24Hua Mulan a réussi à se faire passer pour son père. Elle en avait l’apparence physique, l’odeur, l’haleine et le vocabulaire de troupier. De la graine d’héroïne, donc.
Peut-on en vouloir aux studios Disney d’avoir fait interpréter ce personnage par une femme?