Alors que la crise hongkongaise poursuivait sa dangereuse escalade depuis trois mois, elle prenait un tournant inattendu en l’espace de quelques jours.
Le 2 septembre, un enregistrement audio de la cheffe de l’Exécutif, Carrie Lam, fuitait. S’adressant à un public d’hommes d’affaires Hongkongais, elle se voulait rassurante en affirmant que « Pékin ne s’était pas donné de date limite pour régler la situation, ni n’avait l’intention de faire intervenir l’armée (APL) à Hong Kong ». En effet, pas question pour la Chine d’anéantir le fruit de tous ses efforts pour améliorer son image sur la scène internationale par une incursion musclée. Puis Mme Lam se confiait : « ma marge de manœuvre est très, très, très restreinte. Je démissionnerais sans hésiter… si je le pouvais. ».
Le lendemain, lors d’une déclaration cette fois officielle, Carrie Lam se montrait « confiante en sa capacité à conduire Hong Kong hors de l’impasse ». Mais comment Mme Lam comptait-elle s’y prendre ? Elle qui, jusqu’à présent, s’était montrée inflexible, une attitude considérée comme « arrogante » par une large majorité de Hongkongais.
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour le savoir : 24h plus tard, elle annonçait le retrait du projet de loi d’extradition contesté, pour de bon ! Plus précisément : le gouvernement introduira une résolution auprès du Parlement lorsque les sessions reprendront en octobre. Elle minimisait touteois ce geste, affirmant qu’il ne reflétait pas un changement de position de sa part, puisqu’elle avait déjà annoncé sa suspension le 15 juin. Mme Lam promettait également de faire examiner d’éventuelles bavures policières par l’IPCC (Independent Police Complaints Council) et d’engager une série de dialogues avec des représentants de la société civile pour aborder les problèmes fondamentaux de l’île (prix de l’immobilier, inégalités des revenus, justice sociale, opportunité d’emploi pour la jeunesse…).
Certains questionnent le timing des évènements : la fuite des édifiantes confidences de Carrie Lam était-elle volontaire ? Elle aurait ainsi pu vouloir adoucir les insulaires pour qu’ils réservent un bon accueil au retrait du projet de loi.
Pour le leadership, la marche-arrière de Mme Lam présente deux avantages. D’abord, cette dernière, en laissant comprendre que l’initiative venait d’elle, que Zhongnanhai « comprenait, respectait, supportait » sa décision, exonérait Pékin de toute responsabilité. Pourtant il ne fait aucun doute que le gouvernement central soit à l’origine de ce revirement. Ensuite, le régime compte sur cette maigre concession pour ramener l’ordre à Hong Kong avant les célébrations du 70ème anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine le 1er octobre, même s’il est fort probable que les réjouissances soient organisées avec grande discrétion sur l’île.
Pour le collectif, c’est une petite victoire, acquise grâce « à une stratégie d’alliance entre modérés et plus engagés ». Mais les radicaux n’en démordent pas, c’est « trop peu, trop tard », déplorait Joshua Wong. Pourquoi Carrie Lam a-t-elle attendu aussi longtemps pour répondre à la demande n°1 des manifestants ? Peut-être n’avait-elle pas reçu le feu vert de Pékin, qui pensait tester dans la durée la détermination du mouvement. C’était un mauvais calcul, puisqu’il a basculé vers une contestation plus profonde, où il n’est plus uniquement question de tuer un projet de loi.
Pour se démobiliser, ils réclament l’arrêt des poursuites judiciaires à l’encontre des manifestants arrêtés et l’abandon de la qualification « d’émeute », la démission de Carrie Lam, le suffrage universel direct (au cœur du mouvement Occupy Central de 2014), mais aussi l’ouverture d’une commission d’enquête indépendante (COI) sur les violences policières, n’ayant pas confiance en l’impartialité de l’IPCC. La nomination par Mme Lam de deux nouveaux membres n’y changera probablement rien… Pourtant, certains analystes estimaient que le retrait de la loi, cumulé à l’ouverture d’une COI, aurait pu mettre définitivement un terme aux manifestations.
Mais Carrie Lam en a décidé autrement, espérant qu’une seule mini-concession affaiblisse suffisamment le mouvement : les modérés rentreront chez eux, et les radicaux croiseront le fer avec la police, puis feront face à la justice.
Difficile de prédire avec certitude la suite des évènements. Nombreux étaient ceux qui présumaient que la suspension du projet de loi le 15 juin suffise à calmer les esprits, et pourtant, ils étaient 2 millions à défiler le lendemain. Des actions étaient déjà prévues le week-end du 7-8 septembre, suivant le slogan « cinq exigences, pas une de moins ».
Et dans l’hypothèse où les tensions s’apaisent, quel sera l’avenir politique de la plus impopulaire des Chief Executive ? Elle qui révélait ne plus pouvoir marcher dans la rue sans craindre d’être agressée… Il lui sera difficile de terminer son mandat qui court jusqu’en 2022, trois ans durant lesquels la moindre étincelle pourrait remettre le feu aux poudres.
Sommaire N° 31 (2019)