Il se passe de grandes choses en Chine dans le secteur de l’auto électrique (« EV »), filière d’avenir qui va redistribuer les cartes au niveau mondial.
Bref rappel : voici 20 ans que l’administration et les constructeurs chinois se battent, sur leur propre marché, pour prendre la 1ère place aux leaders mondiaux d’Europe, d’Amérique, du Japon et de Corée, dans le secteur du moteur à explosion—en vain. Sur ce marché mature, les places sont prises, et les détenteurs défendent leurs prés carrés.
Changeant son fusil d’épaule, Pékin a alors opté pour cette autre politique : forcer sur son territoire un passage à la technologie EV, que les autres gardaient sous le boisseau, s’imposer en leader, puis exporter en position dominante. Les moyens ont consisté en un flot de primes à l’achat de modèles locaux, jusqu’à 55.000¥ par voiture électrique et 100.000¥ par hybride. Dès 2016, le but était atteint : le pays produisait et vendait plus de 500.000 EV, 53% des ventes mondiales. Mais, revers de la médaille, les acheteurs étaient souvent des administrations (ventes forcées), et la technologie, souvent bas de gamme. De même, un nombre de fraudes eurent lieu—c’était attendu.
À présent, une seconde phase se met en place par le biais de deux standards de régulation. Le premier, nommé « CAF-C », veut forcer les ténors étrangers à « siniser » leurs brevets et à produire sur place, pièces et voitures. De plus, en 2020, les primes seront épuisées. Cela forcera une montée en qualité, écartant progressivement les constructeurs amateurs.
De type « écologique », le second, « NEV », impose à tous les constructeurs en Chine de sortir de leurs chaînes au moins 10% de véhicules en version EV (donc 90% max en version essence) d’ici 2019. Si le constructeur n’atteint pas l’objectif, il devra racheter des crédits d’émissions au constructeur ayant fait mieux que lui, à qui chaque point de dépassement du quota conférera des crédits. On l’a compris, les groupes chinois, cette fois, sont en avance : ce sont eux qui de facto se feront subventionner par les étrangers.
Dans cette situation entièrement nouvelle, les groupes étrangers sont arrachés à leur torpeur : Ford s’unit avec Zotye (Zhejiang), VW avec JAC (Anhui), et Daimler et GM avec BAIC (Pékin) et SAIC (Shanghai). Selon les experts, Ford et VW ont choisi un partenaire plus petit qu’eux, dans l’espoir de limiter au maximum le transfert de technologies…
Or, le 29 août, l’alliance Renault-Nissan semble aller à contresens de cette stratégie d’autodéfense. Avec Dongfeng, son partenaire en véhicules à essence, elle crée sa JV électrique, eGT, pour produire des plateformes (châssis, essieux, roues motrices et boites de vitesses…) SUV de segment A, pour petits 4×4 urbains ultra-connectés. L’investissement sera supporté à 25% par Renault, 25% par Nissan et 50% par Dongfeng, conformément à la loi chinoise. Le pari, ici, tient au fait pour les trois groupes, de mettre en commun leurs technologies EV. Autre caractéristique de la JV, inédite entre groupes occidentaux et chinois : Dongfeng, Nissan et Renault recevront ces plateformes dès 2019, et les carrosseront et habilleront selon leur propre style. « Chaque marque jouera sa carte », commente Ch. de Charentenay, le vice-président d’eGT.
À bien y réfléchir, les conséquences de ce choix de modèle de JV seront considérables dans l’opinion chinoise. Pour l’instant, les marques étrangères, perçues comme plus fiables ont la préférence des clients chinois. Mais toute voiture basée sur cette plateforme eGT sera de qualité identique, et sa « nationalité » passera au second plan. Elle sera une voiture « sure », et résultat d’une coopération internationale.
Une autre priorité pour eGT, est la traque des coûts – la JV veut reproduire le succès mondial de la Logan, sous la formule « équipement maximum, prix minimum ». 80 ingénieurs de eGT dessinent à Wuhan les sous-ensembles de la plateforme, qui seront ensuite commandés localement. « Sans transiger sur la qualité, prévient de Charentenay, nous sélectionnerons le moins cher. Nous visons une gamme de modèles attractifs, au plus bas coût, mais en aucun cas bas de gamme ». Dans la même recherche de réduction des coûts, l’usine se trouve à Shiyan dans le Hubei, province à bas salaire. À ce stade, Renault-Nissan comme Dongfeng restent muets sur les objectifs, pourtant déjà définis. Ce sera aux marques de présenter leurs modèles en 2019, dont eGT sortira à terme 120.000 unités/an.
Mais pourquoi donc l’alliance, à l’inverse de presque tous les acteurs étrangers, ose-t-elle mettre à disposition du partenaire sa technologie d’EV pour SUV du segment « A », ses années d’avance en recherche ?
Une réponse de l’Alliance, est que Dongfeng dispose déjà d’une technologie présentable, lui permettant de commercialiser dès maintenant un E-SUV d’une autonomie de 400km. D’autre part, ajoute de Charentenay, l’alliance Renault-Nissan n’a pas le choix : le 1er producteur mondial d’EV qu’elle est, avec plus de 400.000 unités sur les routes (hors hybrides), ne peut se permettre de rester hors de ce marché d’avenir.
Ainsi, pour le groupe français, rentrer en Chine par la voiture électrique, permettra un nouveau départ. Pour réussir, l’Alliance ne peut pas lésiner sur les moyens, ni hésiter à se faire bien voir de l’administration chinoise, au risque de passer dans la profession pour la victime consentante d’une spoliation chinoise de la propriété intellectuelle mondiale. Mais l’Alliance répondra peut-être qu’Airbus, 10 ans plus tôt, faisait la même chose en créant sa chaîne de montage d’A320 à Tianjin, passant outre la déception de Boeing : aujourd’hui, le consortium européen ne s’en porte pas plus mal.
1 Commentaire
severy
18 septembre 2017 à 16:10Au fond, c’est un peu comme si le petit poucet »rendait » à l’ogre ses bottes des sept lieues.