Editorial : Un « profond changement » peut en cacher un autre

Un « profond changement » peut en cacher un autre

Depuis plusieurs mois, Pékin ne ménage pas ses efforts pour opérer une reprise en main généralisée. Les géants du e-commerce sont accusés d’abuser de leur position dominante ; les sociétés de VTC et de livraison de repas d’exploiter des dizaines de millions de chauffeurs – livreurs ; les firmes de cours privés d’accroître les inégalités sociales ; les éditeurs de jeux vidéo d’abrutir les jeunes Chinois ; et le secteur du divertissement de les pervertir

La campagne ne devrait pas s’arrêter là. Dans un brûlot publié le 28 août, un certain Li Guangman (李光满) prédit que les secteurs de l’immobilier et de la santé seront les prochaines cibles.

Surtout, l’ex-éditorialiste de 62 ans argumente que « tous ces développements nous indiquent qu’un changement monumental est en cours. (…) Les sphères économiques, financières, culturelles et politiques sont soumises à une profonde transformation, voire à une profonde révolution (…) qui va laver toute la saleté ».

Dès le lendemain, l’article a été rediffusé par les comptes d’une dizaine de médias officiels en ligne (Quotidien du Peuple, Xinhua, Guangming Daily, PLA Daily, Global Times…). Un fait rare pour un commentaire « indépendant », qui a conduit de nombreux observateurs à soupçonner une consigne donnée par le département central de la propagande. Pour autant, l’essai n’a pas été publié dans les versions imprimées de ces journaux. Un point que n’a pas relevé Li Guangman dans son second commentaire (aujourd’hui supprimé), dans lequel il se vantait d’avoir obtenu l’approbation officielle.

Cependant, l’éditorial est loin de faire l’unanimité. Quelques jours plus tard, le plus célèbre des nationalistes s’est insurgé contre cet article : « je m’inquiète qu’un tel langage ravive certains souvenirs historiques et déclenche potentiellement un degré de confusion idéologique et de panique », a affirmé Hu Xijin l’éditeur en chef du Global Times. Et il n’est pas le seul… Sur la toile, les multiples références maoïstes de l’article et sa rediffusion officielle ont conduit de nombreux internautes à craindre l’imminence d’une nouvelle « révolution culturelle ».  Depuis, les censeurs ont reçu la consigne de désamorcer la controverse en limitant la rediffusion des articles de Li et de Hu…

Comment interpréter cet épisode ? La rediffusion en ligne de cet éditorial par des organes de presse officiels est-elle le résultat d’un excès de zèle d’un cadre de la propagande ou alors est-ce une manière pour le leadership de préparer l’opinion à une grande annonce à venir ?

Difficile à dire… En tout cas, Li Guangman ne se trompe pas en évoquant un « profond changement ». En décrétant mi-août que la priorité irait désormais à « la prospérité commune », Xi Jinping amorce un changement radical dans la manière dont le Parti compte tirer sa légitimité future.

Après trois décennies de folle croissance, le leadership se rend compte que le miracle économique a déjà pris fin, et que si le Parti poursuit sur sa trajectoire actuelle, le « contrat social » informel qui prévalait jusqu’à présent – garantissant à la population une amélioration constante de son niveau de vie contre l’abandon de toute velléité politique – risque de se rompre sous le poids des inégalités

C’est donc une bascule globale que Xi Jinping veut amorcer : de la quantité vers la qualité, de la minorité vers la majorité, des privilégiés aux défavorisés, des grands groupes vers les PME, du privé vers le public

Conscient des risques (chômage, ralentissement de la croissance…), Xi Jinping a déjà prouvé ces dernières années qu’il est prêt à payer le prix économique pour des gains politiques (Hong Kong, Xinjiang…).

Même si ce profond rééquilibrage devrait fortement déplaire à certains, il devrait permettre à Xi Jinping de s’assurer le soutien du peuple et ainsi renforcer sa position d’ici le XXème Congrès de 2022.

Dernier rendez-vous politique avant ce moment crucial, le 6ème Plenum vient justement d’être annoncé pour novembre prochain. Traditionnellement, cette 6ème session traite des questions idéologiques et prépare la composition du prochain Politburo (près de la moitié des 25 membres actuels auront atteint la limite d’âge de 68 ans d’ici 2022). Pour mémoire, lors de cette même réunion en 2016, Xi Jinping avait été désigné « noyau » du Parti.

Cette fois, les 370 membres du Comité Central pourraient bien voter une « résolution » portant sur « l’histoire du Parti », qui vient de fêter ses 100 ans. Dans le passé, seules deux résolutions ont été adoptées : la première sous Mao en 1945, marquant l’avènement du leader à la tête du Parti, et la seconde sous Deng Xiaoping en 1981, clôturant le chapitre de la « révolution culturelle » et inaugurant une ère de réformes. Selon toute vraisemblance, cette troisième résolution pourrait bien porter sur la nécessité de maintenir la position de Xi Jinping « au cœur » du PCC pour au moins un mandat de plus…

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