Après deux tournées européennes du Secrétaire d’État américain Mike Pompeo, essentiellement en Europe de l’Est, c’était au tour de Pékin d’envoyer ses émissaires à travers le « Vieux Continent », en amont du sommet virtuel Chine-UE le 14 septembre. L’objectif pour la Chine est de convaincre les Européens de ne pas s’aligner avec les Américains, au nom de valeurs communes comme le multilatéralisme. Mais au lieu de resserrer des liens distendus, ces visites ont plutôt illustré le fossé qui sépare Pékin de plusieurs capitales européennes.
Pour son premier voyage en Europe depuis le début de la pandémie, le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi, s’en rendu tour à tour en Italie, aux Pays-Bas, en France, en Norvège (non membre de l’UE) et en Allemagne. Il a été suivi de près par le chef de la diplomatie chinoise et membre du Politburo Yang Jiechi en Espagne et en Grèce.
Réputé pour ne pas mâcher ses mots, Wang Yi était chargé de mener une offensive de charme agrémentée de « saluts du coude » (cf photos). Cependant, plusieurs sujets sensibles se sont invités à sa tournée. Avec l’aide des Italiens, Wang accepta une rencontre à Rome avec son homologue canadien, dont le principal sujet a été l’arrestation de la directrice financière de Huawei en décembre 2018, suivie de celle de deux ressortissants canadiens en Chine. Depuis lors, les relations entre Pékin et Ottawa sont glaciales et les rencontres se font rares…
Puis ce fut au tour du dossier hongkongais de resurgir : au moment où Wang Yi s’entretenait avec son homologue italien, l’activiste Nathan Law, ayant fui l’ex-colonie britannique après le passage de la loi de sécurité nationale, prenait la parole devant le ministère aux côtés de l’ancien ministre des Affaires étrangères et d’un sénateur.
Interrogé lors d’une conférence de presse à Oslo, Wang Yi a prévenu que la Chine verrait d’un très mauvais œil l’attribution du Nobel de la Paix aux manifestants hongkongais. Pour mémoire, l’attribution de ce prix au dissident Liu Xiaobo avait conduit à six ans de gel des relations entre la Norvège et la Chine et un boycott du saumon norvégien.
À Paris, le ministre chinois avait eu l’honneur d’être reçu par le Président Macron, qui en profita pour souligner que la 5G en France serait de technologie « européenne » (Nokia, Ericsson). L’Allemagne reste donc le dernier grand marché européen à ne pas avoir tranché sur la question de Huawei…
Justement, c’est à Berlin que la visite de Wang dérailla, lorsqu’il proféra des menaces à l’encontre du président du Sénat tchèque Milos Vystrcil, en voyage à Taïwan – des propos immédiatement condamnés en conférence de presse par son homologue allemand Heiko Maas.
Hasard du calendrier, le même jour, l’Institut Australien de Stratégie Politique (ASPI) publiait un rapport intitulé « la Diplomatie Coercitive du PCC », identifiant huit types de menaces « non militaires » que la Chine utilise auprès d’autres pays afin de les inciter à changer leur comportement : menaces formulées par ses médias d’État, ses diplomates ou ses ambassades (la fameuse diplomatie du « loup combattant ») ; restrictions aux voyages officiels ; et détentions arbitraires et exécutions de ressortissants des nations ciblées. Les chercheurs recensent aussi des sanctions économiques ; des restrictions aux investissements ; des avertissements aux voyageurs ; et des boycotts populaires orchestrés par les médias et relayés par les réseaux sociaux. Selon la méthode de « la carotte et du bâton », le pendant de cette diplomatie coercitive s’exprime à travers celle du « carnet de chèques », consistant à des promesses d’aides et d’investissements en guise de récompense. Les sujets de contentieux sont variés : Covid-19, 5G, Xinjiang, Hong Kong, Taïwan, bouclier antimissiles THAAD, Dalaï-lama, Nobel de la Paix, mer de Chine du Sud… tous touchant aux intérêts fondamentaux du Parti.
Ces dix dernières années, l’institut a compilé une liste (non exhaustive) de 100 cas de « diplomatie coercitive » chinoise auprès de 28 pays étrangers : les pays européens arrivent n°1, suivis de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, puis des États-Unis et du Canada. Les 52 autres cas visent des entreprises étrangères, qui se sont pliées à des excuses publiques dans 4 cas sur 5. Les auteurs notent une forte accélération de ces tactiques depuis 2018 – correspondant au début de la guerre commerciale sino-américaine – avec un regain de « menaces » durant la pandémie, « faute de pouvoir mettre en pratique d’autres moyens de coercition ». Selon l’ASPI, ces tactiques ne s’arrêtent que lorsque la Chine obtient ce qu’elle veut.
Officiellement, Pékin se défend d’employer de telles méthodes, « dont l’Occident a l’apanage ». Il est vrai que la Chine n’est pas la première puissance à utiliser ce type de moyens de pression afin de protéger ses intérêts. Mais la stratégie chinoise est unique dans le sens où elle ne limite pas à une approche d’État à État, et ne reconnaît pas officiellement le lien entre les sanctions qu’elle décrète et ses intérêts, préférant ainsi donner des prétextes (non-respect des règles sanitaires ou des problèmes d’étiquetage pour les restrictions aux importations par exemple)… Evidemment, les pays étrangers sont tiraillés quant à l’attitude à adopter : céder ou tenir tête ? D’après les chercheurs, seule une mobilisation coordonnée entre différents pays, au sein d’entités et blocs internationaux (UE, ASEAN, « Fives Eyes », G7, G10…) peut faire la différence.
Sommaire N° 30 (2020)