À Xiamen les 3, 4 et 5 septembre, le 9ème Sommet des BRICS (alliance des pays émergents) a bien failli ne pas avoir lieu. Cinq jours avant, un conflit opposait, en terre bhoutanaise à 5700m d’altitude, quelques centaines de soldats chinois et indiens, risquant d’entraîner le boycott du Sommet par Narendra Modi, Premier ministre indien. Xi Jinping avait donc dû négocier en coulisse pour faire en sorte que les troupes se retirent à temps. L’incident avait cependant exposé la vulnérabilité de cette association réunissant Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, vu les intérêts parfois conflictuels des membres – en l’occurrence, l’expansion de leurs influences respectives hors frontières.
A Xiamen, les délégations ont pu constater la masse tangible des avantages à travailler ensemble.
A l’origine, cet intérêt était moins commercial, que purement politique : ces cinq pays prétendant créer à travers la planète, un nouvel ordre économique mondial qui fasse concurrence aux Etats-Unis et à l’Europe, au dollar et à l’euro, et aux pratiques prédatrices des multinationales.
Mais très vite, les échanges bilatéraux aboutissaient à des avancées qu’on n’aurait pu soupçonner à l’avance. Par exemple, lors de leur grande réconciliation, Xi Jinping reconnaissait devant Modi l’existence de groupes terroristes au Pakistan— un constat très précieux pour l’Inde, mais déchirant pour le Pakistan, qui était absent au Sommet.
Le meeting des cinq nations servait aussi de laboratoire d’idées : Modi, par exemple, décrivait une expérience originale de lutte contre la misère en son pays, par laquelle 360 millions de citoyens parmi les plus pauvres, recevaient en même temps un compte en banque, une carte d’identité biométrique et un smartphone d’entrée de gamme, permettant ensuite à l’Etat de leur transmettre une aide directe sans craindre son détournement.
Depuis la fondation de leur association en 2009, les BRICS, coopèrent en matière de finance et de douane, dans le but de s’enrichir mutuellement par les échanges. Ainsi, ils ont fondé en 2014 la Nouvelle Banque de Développement (NDB), qui se veut un contrepoids à la Banque Mondiale et au FMI. Dès 2015, la NDB recevait 10 milliards de $ de chaque pays fondateur, pour un fonds de roulement de 50 milliards, qui doit passer à 100 milliards à l’avenir. En 2016 sur 7 projets, la banque a prêté 1,5 milliard de $. En 2017, elle compte en débourser 2,5 milliards, un montant qui reste fort modeste face aux 49 milliards de la Banque Mondiale. Dès 2018, la NDB ouvrira ses prêts aux projets privés. Durant le Sommet, en duplex depuis Xiamen, les BRICS assistaient à la pose de la 1ère pierre de son siège à Shanghai (Pudong). D’ici 2021, la tour de 30 étages devra atteindre 150m de hauteur, pour accueillir jusqu’à 2500 employés. Dirigée par l’Indien K.V. Kamath, sa première priorité sera d’obtenir une note des agences spécialisées, afin de pouvoir émettre des obligations dans leurs propres monnaies—et de financer ainsi leurs opérations.
Cependant cette banque NDB rencontre immédiatement un mal de croissance. Ses statuts sont flous – ce qui était volontaire dès le départ. Comment en effet, mettre d’accord ces pays si différents, aux origines culturelles ou religieuses si diverses, sur des types de financement identiques ?
La NDB manque donc de standards « moraux » quant à ses objectifs : elle ne peut refuser des prêts dans le nucléaire, quoiqu’un de ses membres (le Brésil) y soit plutôt opposé. Elle manque aussi de standards purement financiers : quelle transparence comptable réclamer, alors que certains pays ne vivent que dans la pénombre de comptes retouchés ? Aussi la NDB, pour l’instant, ne prévoit aucune évaluation indépendante des projets primés. Ceci pourtant risque de la pénaliser plus tard, quand elle devra renoncer aux fonds des Etats pour se financer sur le marché international privé. La NDB a d’ailleurs démarré sur un curieux faux pas : son premier projet, 180 millions de $ en Afrique du Sud, pour un chantier d’énergies renouvelables, a été stoppé net en 2016 par Johannesburg : avec la crise économique, l’Afrique du Sud révisait à la baisse sa demande en énergie…
Nonobstant, les leaders de l’organisation gardent confiance en l’avenir, sur le long terme, au nom de l’enjeu, à savoir un réseau de nations aux besoins de financement fondamentalement différents de ceux des économies matures. Une course contre la montre semble engagée pour un élargissement rapide du club des BRICS : avec cinq autres nations observatrices à Xiamen (Egypte, Guinée (présidente en titre du Sommet Africain), Mexique, Tadjikistan et Thaïlande, ils formeraient le BRICS+. Le Venezuela, pourtant en piètre posture économique, présentait aussi son entrée à la NDB comme imminente.
Contrairement aux usages, Xi Jinping, l’hôte, ne déballa pas à Xiamen, une multitude de chèques. A peine annonça-t-il un crédit de 80 millions de $, presque entièrement destiné à la promotion de projets « coopératifs » entre pays signataires. C’était à l’évidence pour positionner la Chine, cette fois, comme un pays parmi les autres, partenaire et égal.
En définitive, de l’avis de tous les participants, ce Sommet fut un succès, sans tension et avec l’intuition générale d’un nouveau monde à construire, affranchi de l’ombre des économies matures. Sortant de son mutisme proverbial, le russe Vladimir Poutine devait résumer l’opinion générale en croyant le club capable de créer à l’avenir « un ensemble de mesures coopératives contre les pratiques déloyales des multinationales, et les violations transfrontalières des règles de la concurrence ». Vaste programme !
Sommaire N° 30 (2017)