Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, Xi Jinping rêve de hisser son pays au podium des puissances du football : la seule reconnaissance mondiale qui manque encore à son palmarès. L’opinion elle non-plus ne peut supporter la place du Onze national au classement FIFA – 81ème derrière des pays tels les îles Cuiraçao, Haïti ou l’Ouzbékistan –ni la quasi-certitude d’avoir raté la qualification en Coupe du Monde de 2018, après le dernier match perdu contre la Syrie…
C’est ce qui explique la ruée des clubs chinois lors du mercato d’hiver, débauchant des joueurs étrangers pour la saison 2017 de la Super League (CSL). Cette stratégie du carnet de chèques reflète le désespoir du ballon rond chinois à trouver la formule gagnante.
Le 29 décembre, l’attaquant argentin Carlos Tevez signait avec le Shanghai Shenhua et devenait à 33 ans, le joueur le mieux payé au monde avec 40 millions d’€ par saison. Il y a encore deux ans, les clubs chinois recrutaient des sportifs en fin de carrière (comme Drogba et Anelka au Shanghai Shenhua en 2012), leur offrant un pont d’or contre quelques années de pantouflage.
A présent, la stratégie évolue : ces clubs visent aussi des jeunes au fort potentiel, tel le Brésilien Oscar, 25 ans (cf 1ère photo), de Chelsea (Londres) parti le 2 janvier au SIPG (Shanghai International Port Group), payé 24 millions d’€/saison, ou encore l’international belge Axel Witsel, 28 ans (au centre de la photo ci-dessus), troquant début janvier le Zénith de St-Pétersbourg pour le Tianjin Quanjian à 18 millions d’€/an.
Mais le football européen, après quelques mois de surprise, s’organise – la riposte s’engage, les clubs prenant conscience du danger. Arsène Wenger, entraîneur d’Arsenal, s’inquiète de voir partir ses meilleurs joueurs, au risque de tout perdre, victoires, suprématie, voire même ses 74 millions de $ de recettes de droits mondiaux de diffusion télévisée. « Il y a distorsion, selon Wenger, l’avenir de la Premier League n’est pas assuré ! ». Une barrière coupe-feu s’érige au sein des clubs. Après avoir laissé partir Oscar, Chelsea prévient les autres candidats à la défection que s’ils se laissent tenter par la Chine, leur carrière s’arrêtera là – sous-entendu, plus aucun club du Royaume-Uni voire d’Europe n’acceptera plus les transfuges !
Résultat de cette mise en garde en forme d’ultimatum, Ronaldo rejette peu après un contrat chinois à 100 millions d’€ (d’un club anonyme), l’attaquant belge Christian Benteke, repousse 47 millions du Beijing Guo’an, et Rodriguez dédaigne 30 millions du Hebei Fortune pour rester au Real Madrid…
Cela dit, les autorités chinoises semblent prendre conscience de l’échec de la stratégie où plus l’on dépense et plus l’on perd. Le Quotidien du Peuple dévoilait que 80% des 4.1 milliards de ¥ dépensés par les clubs de CSL en 2016, sont passés en recrutement de joueurs et entraîneurs étrangers, et les adjurait de cesser de «flamber du cash », tout en appelant l’Etat à fixer un «salaire plafonné » et une «enveloppe maximale» aux transferts. Le Centre de Management du Football lui, co-gestionnaire du secteur, était simplement démantelé (9 janvier), histoire d’introduire un degré d’autonomie supplémentaire des clubs et éliminer une source de corruption.
En outre le 15 janvier puis le 19, la China Football Administration (CFA) édictait de nouvelles règles de fonctionnement des clubs (en 18 points) et de recrutement de joueurs étrangers. Jusqu’alors, les clubs de Super League avaient pu titulariser trois étrangers + un joueur d’un pays « affilié à la Confédération asiatique », et un 5ème comme remplaçant. Désormais, les clubs peuvent toujours en recruter cinq (et seraient taxés au-delà de 30 millions de $ par transfert) mais ne peuvent en aligner que trois par match, et un minimum de deux jeunes licenciés chinois de moins de 23 ans devront figurer sur la feuille de match, dont au moins un en début de rencontre.
L’annonce tardive, à six semaines de l’ouverture de la saison (5 mars) oblige les clubs à bouleverser leurs plans de recrutement : la vague de transferts étrangers capote soudain. C’est un pari du niveau central contre les clubs dont les patrons se lamentent, tel Su Yuhui, président du Tianjin Quanjian : à court terme, ce quota d’étrangers pourrait avoir «des effets négatifs sur le niveau de jeu ». Mais à plus long terme, c’est peut-être une solution, en forçant les clubs à former leurs jeunes, à travailler sur l’esprit d’équipe et la montée en confiance collective, des données jusqu’à aujourd’hui peu prises en compte. À terme, ce serait une véritable base pour une sortie d’enfer de l’équipe nationale.
Enfin le 17 janvier, la CFA publiait ses comptes— une première ! 780 millions de ¥ de revenus en 2016 (+2% par rapport à 2015), et 670 millions de ¥ de dépenses escomptées en 2017 (150% du chiffre de 2016). C’est un pas vers la transparence, témoignant d’un vrai désir de changement d’image et de prise de distance par rapport aux «sifflets noirs » (arbitres vendus) et à la corruption… Bien que peu de détails ont filtré sur ce budget, il fait clairement la part belle aux vœux du chef de l’Etat de convertir le football en véritable sport de masse : d’ici 2020, 50.000 entraîneurs en place doivent être formés, 70.000 terrains créés, et 15.000 écoles devront avoir intégré le ballon rond à leur cursus, histoire d’éveiller la flamme en la jeunesse chinoise !
Sommaire N° 3-4 (2017)