Première touchée par l’épidémie de la Covid-19, la Chine a aussi été la première à s’en défaire. Grâce à des mesures sanitaires drastiques ayant permis de juguler rapidement le virus, elle est le seul grand pays à avoir échappé à la récession en 2020. Après un effondrement historique de son PIB au 1er trimestre 2020 (-6,8%), la croissance est remontée à 6,5% au dernier trimestre, reprenant son rythme pré-Covid. Ce beau score de fin d’année permet au pays d’afficher officiellement une croissance de +2,3% pour l’ensemble de 2020, son PIB dépassant pour la première fois la barre des 100 000 milliards de yuans (101 598 milliards).
La tentation politique d’afficher une croissance vigoureuse, reste forte – particulièrement lorsque le rival américain est en position de faiblesse . Le leadership chinois pourrait renouer avec sa tradition d’annoncer un objectif de croissance pour l’année lors de la prochaine session du Parlement, pour l’instant programmée au 4 mars, sauf si le virus vient à nouveau empêcher sa tenue. Pour 2021, l’OCDE anticipe un rebond du PIB chinois de 8%, avant de ralentir à 4,9% en 2022.
Au plan international, cette croissance a permis à la Chine de grignoter 1,1 point du PIB mondial pour la seule année 2020 – du jamais-vu – pour représenter 16,8 % de l’économie globale (contre environ 22,3 % pour les États-Unis). Selon Feng Xuming, chercheur à l’Académie des sciences sociales (CASS), l’économie chinoise équivalait en 2020 à 70,8% de l’américaine, contre 66,7% en 2019. L‘écart entre les deux premières puissances mondiales s’est donc resserré plus rapidement que prévu. Et si la Chine continue sur cette lancée, son économie pourrait dépasser le PIB américain en 2028 (cinq ans plus tôt que prévu), voire même dès 2026, selon diverses estimations.
« Malgré des circonstances exceptionnelles, l’économie chinoise a réalisé un tour de force », s’est enthousiasmé Ning Jizhe, directeur du Bureau des statistiques, le 18 janvier. « C’est une performance satisfaisante pour le peuple, observée par le monde entier, et qui peut rentrer dans les annales de l’histoire ». Sur Weibo, les comptes officiels des organes du Parti et des médias d’État se sont empressés de célébrer cet accomplissement, sous le hashtag : « regardez cette belle reprise en V ». Toutefois, certains commentateurs attirent l’attention sur la récente révision par le Bureau des statistiques des données de référence de 2019, de manière à obtenir des pourcentages de croissance encore meilleurs que prévu. La réalité serait moins reluisante. « Si notre société est toujours plus prospère chaque année, pourquoi ai-je l’impression que la vie est de plus en plus difficile ? », interroge un internaute en réaction à l’annonce du PIB pour 2020. « Si l’on regarde les chiffres, tout à l’air d’aller pour le mieux, mais en réalité, c’est très dur de trouver un travail décent », confesse un autre. Officiellement, le taux de chômage urbain est revenu à son niveau pré-Covid-19 (5,2% en décembre) et 11,86 millions d’emplois ont été créés l’an dernier (30% de plus que l’objectif). Cependant, un index mis au point par des chercheurs de l’université Renmin, basé sur les offres d’emploi mises en ligne sur la plateforme Zhaopin, révèle que leur nombre a chuté de 17% au dernier trimestre, particulièrement au sein des entreprises étrangères et des JV.
En y regardant de plus près, la croissance a été principalement alimentée en 2020 par l’activité industrielle (+2,8%), indicateur qui jauge également la production minière (1 milliard de tonnes d’acier produites en 2020 – un record) et manufacturière. Ce rebond est essentiellement lié à l’accélération fortuite des exports chinois (+18,2% en décembre), conduisant l’excédent commercial de la Chine avec le reste du monde à 535 milliards de $ (+27 %), son plus haut niveau depuis 2015. En effet, faute d’avoir pu endiguer la maladie, de nombreux pays étrangers passent commande en Chine, notamment en équipements médicaux (+13% pour les EPI) et produits électroniques (+54,5% pour les ordinateurs), renforçant ainsi la position chinoise « d’usine du monde » dont le leadership aimerait tant se débarrasser.
Les dépenses en infrastructures (+0,9%), et en immobilier (+7%) ont également tiré la croissance vers le haut. « C’est exactement le type de croissance non productive que la Chine a essayé de limiter ces dernières années », commente Michael Pettis, professeur d’économie à l’université de Pékin. « Bien sûr, l’activité économique a repris, mais d’autres indicateurs ont effectué de bien piètres performances ». C’est le cas de la consommation. Le climat d’incertitude économique pesant sur le portefeuille des foyers – particulièrement des plus modestes -, les ventes au détail ont chuté de 3,9% par rapport à 2019, marquant la première contraction depuis 1968. Le niveau de la dette a également augmenté, celle des entreprises à 127% du PIB (+10%) et celle des gouvernements locaux à 25% du PIB. Les ménages aussi se sont davantage endettés (de 55,6% à 58,3% en 2020).
Ce bilan économique, aussi remarquable soit-il, va donc dans la direction opposée décrétée par le Président Xi Jinping, consistant à donner moins d’importance aux exportations dans l’économie et davantage à la consommation intérieure (la fameuse stratégie de « circulation duale »). Un rééquilibrage qui devrait être encore plus difficile à effectuer dans un contexte post-Covid-19.
Sommaire N° 3-4 (2021)