Le 13 janvier, surlendemain de la réélection de Tsai Ing-wen à la présidence taiwanaise, le maire de Taipei Ko Wen-je était à Prague pour signer un accord de jumelage avec la capitale tchèque. Le partenariat stipule que le zoo de Prague, à défaut de recevoir un panda, accueillera des pangolins venus de Taïwan. En échange, des étudiants tchèques seront envoyés à Taipei étudier le chinois, le système d’exploitation de son métro, et la digitalisation du secteur de la santé. Pour Taïwan, c’est une petite victoire après que sept de ses alliés diplomatiques lui aient tourné le dos depuis 2016 en faveur de Pékin. Ce rapprochement avec Prague, Taipei le doit à Zdenek Hrib, maire de 38 ans et médecin de formation, ayant réalisé son internat à Taïwan en 2005. Déjà en octobre dernier, le leader du Parti Pirate, avait rompu le jumelage de la capitale aux cent clochers avec Pékin, car il refusait de souscrire au principe « d’une seule Chine ». Dans une tribune publiée le 12 janvier dans l’édition dominicale du quotidien allemand Die Welt, Hrib explique qu’il « ne pouvait pas tolérer un accord de jumelage contraignant sa ville à nier l’indépendance du Tibet ou de Taïwan (…) Ce sont des affaires purement politiques, n’ayant rien à voir avec les échanges culturels qu’un accord de jumelage prévoit ». Même si le jeune élu est pour le maintien des relations avec la Chine, il appelle aussi les démocraties européennes à « réfléchir à deux fois avant de s’engager avec un partenaire aussi peu fiable que la Chine ». Au passage, Hrib accuse le gouvernement tchèque de renier l’héritage de la Révolution de velours qui, en 1989, avait destitué le régime communiste en place depuis quarante ans dans l’ancienne Tchécoslovaquie. À la suite de tels commentaires, la municipalité de Shanghai rompait formellement son jumelage avec Prague, la capitale tchèque « ayant pris à plusieurs reprises des décisions erronées sur Taïwan et d’autres questions impliquant les enjeux chinois ».
Plus surprenante était la décision du Président tchèque Milos Zeman, jusqu’à hier ardent défenseur des investissements chinois dans son pays et partisan actif d’un rapprochement avec l’axe sino-russe, de snober le prochain sommet « 17 + 1 » prévu mi-avril à Pékin. Cette réunion annuelle rassemble la Chine et 17 pays d’Europe Centrale et de l’Est, dont 12 membres de l’UE. Justifiant sa décision, le Président Zeman aurait déclaré que « la Chine n’a pas tenu ses promesses d’investissements ». Il enverra à sa place son vice-Premier ministre, Jan Hamacek. L’absence du Président tchèque devrait ravir l’opposition, méfiante du rôle de la Chine dans le pays et des risques que la 5G de Huawei pourraient faire peser sur la nation tels que soulevés par l’agence nationale de cybersécurité (NUKIB). Durant la dernière décennie, la Chine aurait investi dans le pays 1 milliard d’€, contre 14 milliards d’€ de la part de Taïwan. Le Président Zeman n’est pas le seul à être désabusé : d’autres pays participants se sont plaints de leur déficit commercial avec la Chine et du manque de résultats tangibles du « 17 + 1 », vecteur de l’initiative Belt & Road (BRI) chinoise en Europe. « Le seul pays en ayant tiré un petit bénéfice est la Hongrie », affirme le Président de la Chambre Européenne en Chine, Joerg Wuttke.
C’est peut-être pour palier à cette vague de mécontentement que pour la première fois depuis 2012, année de création du « 17 + 1 », il sera présidé par le Président Xi Jinping et non par le Premier ministre Li Keqiang. Souvent accusé par Bruxelles de diviser l’Union Européenne, ce 9ème sommet se tiendra juste après le 22ème sommet Chine-Europe fin mars. Malgré les critiques, d’autres membres de l’UE auraient exprimé leur intérêt à rejoindre le « 17 + 1 », notamment l’Autriche actuellement simple observateur… En effet, en s’associant à l’initiative, ces nations européennes périphériques espèrent gagner sur les deux tableaux, en étant susceptibles d’accueillir plus d’investissements chinois, et en disposant d’un nouveau moyen de pression sur Bruxelles. Mais la Chine devra offrir mieux que des promesses pour attirer ces pays qui se sentent délaissés et mal-considérés par l’UE. Sans quoi, la fissure provoquée par Milos Zeman pourrait s’élargir…
Sommaire N° 3-4 (2020)