Depuis quelque temps déjà, sur divers sujets, le torchon brûle entre Chine et Canada. En décembre 2017, à l’aube d’entamer les négociations pour un traité de libre-échange, Pékin renonçait, citant l’« arrogance » d’Ottawa.
Plus récemment, en décembre 2018, le Canada mettait de l’huile sur le feu en interpellant à Vancouver Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei et fille du PDG fondateur Ren Zhengfei, sur demande de la justice américaine, fondée sur un traité d’extradition. Ottawa n’avait donc pas le choix, d’autant moins qu’en ce pays démocratique, la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif est respectée comme un dogme intangible. Mais la Chine considère les gouvernements responsables de leurs actes. Depuis lors, elle faisait donc inquiéter au moins 13 ressortissants canadiens sur son territoire.
Robert Schellenberg était arrêté depuis 2014 pour trafic de drogue. Le 20 novembre 2018, il était condamné à 15 ans de prison. Un malheur n’arrivant jamais seul, il avait fait appel – sans prévoir qu’adviendrait ce énième orage entre les pays. Depuis, le procès en appel a été rondement expédié, le condamnant cette fois à la peine capitale « vu la gravité de son crime ». Le Canada s’opposait au verdict, du fait que le pays est contre la peine de mort. Le 1er ministre canadien Justin Trudeau intervint, plaidant la « clémence ». De ce fait, entre ces pays, rien ne va plus, d’autant que parmi les autres Canadiens inquiétés depuis, figure un diplomate de carrière en disponibilité, Michael Kovrig, arrêté sous la vague allégation d’ « activités nuisant à la sécurité nationale ». Après quelques semaines d’hésitation, Ottawa finit par convoquer l’ambassadeur de Chine (16 janvier) : il lui rappelle que son cadre est couvert par l’immunité diplomatique, et exige le respect de la Convention de Vienne : Pékin doit soit l’expulser, soit réclamer la levée de son immunité—que Ottawa refusera.
Depuis Pékin, un porte-parole répond par des sarcasmes. De son côté, depuis Ottawa, Lu Shaye l’ambassadeur de Chine, réplique en accusant le pays à la feuille d’érable, de « poignarder la Chine dans le dos » en arrêtant Meng, et tente de dissuader le Canada d’isoler la Chine à l’imminent sommet de Davos (22-25 janvier). Ce serait pour la Chine une nouvelle perte de face, qu’elle veut à tout prix éviter.
Sous l’ouragan, le Canada recommande à ses ressortissants d’éviter tout voyage en Chine et enjoint ses expatriés à la « plus grande prudence ». Œil pour œil, Pékin rétorque en avertissant ses citoyens contre les risques de « détention arbitraire » outre Pacifique.
Ce dérapage en dehors de tout usage diplomatique et droit international, permet de supposer qu’en cas de libération de Mme Meng, les Canadiens emprisonnés recouvreraient leur liberté, et que la condamnation à mort serait commuée.
De façon étrange et remarquable, éclate à des milliers de kilomètres du Canada et de la Chine, une autre affaire inquiétante : à Varsovie le 11 janvier, la justice polonaise annonçait l’arrestation trois jours plus tôt de Wang Weijing, directeur commercial de Huawei en Pologne. Ancien employé au consulat chinois de Gdansk (de 2006 à 2011), Wang est accusé d’atteinte à la sécurité de l’Etat, en même temps qu’un ancien espion polonais, employé de la filiale polonaise d’Orange, le groupe français de télécommunication.
La Chine exprime sa rancœur – selon le Global Times, la Pologne « doit payer » et Pékin « faire comprendre au monde que la Pologne est complice des Etats-Unis ».
Très vite alors, l’affaire s’obscurcit. Soucieux de son image, Huawei licencie Wang à peine arrêté : renonçant à innocenter son employé, il clame n’avoir aucune responsabilité dans ses agissements illégaux. Le gouvernement polonais corrobore, affirmant que Wang n’a pas été arrêté pour des agissements commandés par son entreprise. Mais au même moment, Varsovie prend cette initiative contradictoire de demander aux pays occidentaux de combattre avec lui les menaces extérieures d’espionnage cybernétique.
La situation est complexe, du fait d’un conflit d’intérêts au sein de l’Etat polonais. D’une part, un « tropisme » chinois en ce pays, nourri par son passé récent de satellite de l’URSS, en fait une base privilégiée d’investissements chinois dans le cadre du plan BRI, des « nouvelles routes de la soie ». Ainsi, Huawei a fait de la Pologne son QG pour l’Europe de l’Est et du Nord. De même, la Chine anime le groupe « 16+1 » de nations plus ou moins eurosceptiques, dont 11 membres de l’Union Européenne. Ce cercle d’influence, sustenté par quelques projets d’infrastructure, lui permet d’exercer au sein de l’UE un efficace veto sur tout sujet allant contre ses intérêts.
Mais d’autre part, l’arrestation de Wang Weijing suggère que l’espionnage cybernétique chinois exerce déjà en Pologne un pouvoir de nuisance suffisant pour justifier une intervention médiatique, au risque de compromettre les espoirs des deux bords : pour Varsovie, récolter des emplois et infrastructures, et pour Pékin, diviser l’UE.
Quel lien faire entre les dégradations des relations chinoises avec ces deux pays ? En filigrane, un enjeu est l’émergence d’une nouvelle technologie de télécoms 5G, qui promet des applications en rupture complète avec tout ce que le monde connaît aujourd’hui. Huawei est un leader de la 5G – en concurrence avec les groupes américains. Depuis 2018, les Etats-Unis et un nombre de pays alliés tels Australie, Royaume-Uni… ou Canada bannissent la technologique 5G de Huawei, citant des risques d’espionnage. C’est ainsi qu’au Canada comme en Pologne, le groupe Huawei, indirectement, endommage la confiance envers la Chine. Malheureusement pour elle, cette dernière ne semble pas être sensible à cet aspect des choses. Avec Liu Zhifan
1 Commentaire
severy
20 janvier 2019 à 14:21En matière de 5G, les Chinois, ayant intelligemment copié les Américains, n’ont probablement plus grand chose à leur envier. Les soupçons d’espionnage que permettraient de réaliser les services de renseignement chinois sont à prendre au sérieux de la même façon que ceux pouvant être réalisés par les services américains. Les utilisateurs seront de toute façon les dindons consentants de la farce.