En 2018, elles sont monnaie courante, les histoires de maîtresses piégées par les épouses. Après le coup de Jarnac du détective Yu Ruojian, voici celui de Zhu Lifei !
Le 12 septembre 2016 à Changzhou (Jiangsu), l’agence de consultation familiale-conjugale « Cœur sincère » reçut la visite d’une Mme Liu, en pleurs. Mariée depuis 7 ans à un grand nom de la finance, elle le voyait s’envoler souvent pour Hong Kong. Sans difficulté, elle avait découvert ses frasques –impudemment, il laissait dans ses poches des petits mots doux d’une certaine Huang Xinguo ; ou une paire de billets de cinéma, ou de karaoké. En silence, Mme Liu supportait. Mais voilà qu’un soir de juin, posant sa valise, changement de scénario, il lui déclarait tout de go vouloir divorcer : il venait de rencontrer une fille vraiment époustouflante, et entendait en faire la prochaine compagne de sa vie…
A l’autre bout du fil, Zhu Lifei, 30 ans (cf photo), le patron de « Cœur sincère » l’écouta deux bonnes heures, l’interrompant pour de rares questions tout en tapotant sur son ordinateur. Apparemment, la relation durait déjà. Zhu fit donc la recherche sur internet, et ne tarda à retrouver la trace. Il dépêcha donc deux de ses agents à Hong Kong pour la prier d’aller chercher ailleurs de quoi « subvenir aux besoins des siens » (仰事俯畜,yǎng shì fǔ xù ).
Mais la réception fut décevante : riant de leurs appels à la vertu, éclatante de mépris, la belle Huang leur conseilla de rentrer en Chine : « ici, vous savez, ce n’est pas le même pays, ni les mêmes lois—fichez-moi le camp ». S’ils insistaient, elle appellerait la police. Chou blanc, donc, sur toute la ligne !
Une seconde tentative fut lancée, sur le mari cette fois, toujours en faisant appel aux bons sentiments : la fois suivante qu’il rentra au foyer, il trouva sa femme absente, et reçut quelques minutes après un appel urgent: « vite, rendez vous à XXX (telle adresse)—votre épouse vient d’avoir un accident », et puis l’on raccrocha. Arrivé au lieu-dit, à quelques rues de là, il découvrit leur voiture encastrée dans un mur et sa femme en sang, secourue par des passants. Or, le spectacle de cette catastrophe laissa le mari de marbre : constatant que les écorchures ne la mettait pas en danger de mort, il se rassura derechef et quitta la scène, prétextant une obligation urgente… « Encore raté », grommelèrent les agents de « Cœur Sincère »… Car les blessures de Mme Liu étaient simulées avec du sang de poulet, et l’accident mis en scène. Or, confronté au risque de perdre sa moitié, le mari n’avait semblé animé que du regret que l’issue fatale ait été évitée, sans envoyer Mme Liu rejoindre ses ancêtres, le libérant de son encombrante compagnie!
Zhu Lifei, le chef de l’agence passa alors aux grands moyens – l’honneur de son entreprise était en jeu ! Reprenant le cas à zéro, avec le soutien de tout son état-major, il imagina la stratégie de la dernière chance, cette fois sans rien laisser au hasard. Du côté de Mme Liu d’abord. Soumise à un régime sévère, elle perdit 5 kg en un mois, et prit des cours de maquillage et d’habillement à la dernière mode. Elle reçut même des conseils en amour conjugal, sur la manière, en matière de volupté, de tenir la dragée haute à l’amante.
La nouvelle attaque porterait alors sur le point faible de la « ernai » (二奶« seconde poitrine », terme populaire pour « amante ») : ses achats compulsif en salle des ventes. Zhu installa alors un de ses agents, de plutôt belle prestance, en-dessous de chez elle. Ce dernier se présenta à elle « par hasard » comme un riche collectionneur, et lui fit visiter son cinq-pièces rempli d’œuvres d’art —des faux, on l’aura compris. Dès lors, ils sympathisèrent vite. Elle lui montra à son tour une œuvre rare, lui dévoilant naïvement qu’elle s’était endettée sur le marché noir, auprès des triades pour l’acquérir. Or, dès le lendemain, deux détectives de « Cœur sincère » frappèrent à sa porte, se faisant passer pour ses créanciers occultes : ils exigèrent le remboursement immédiat, la menacèrent de représailles physiques, et prétendirent même la retenir en otage chez elle. Sur ces entrefaites, le bon voisin du dessous apparut, qui très généreusement, arrangea la situation et offrit de « rembourser » les bandits. Melle Huang fut donc délivrée – et bernée ! Pleine de gratitude, elle offrit à son sauveur un livre ancien. Grand seigneur, lui-même lui donna une commode miniature d’époque Ming, un triple rang de perles rares, des boucles de nacre – le tout eût été hors de prix, si authentique!
Quelques jours après, le mari de Mme Liu retourna à Hong Kong. Au cou de la cocotte pendait le collier, et sur la table basse trônait la miniature : mais d’où venaient ces objets ? Alors, elle se troubla. Il gonfla la voix pour exiger la vérité. Fouillant le nid d’amour, il trouva des vêtements d’homme, dont le faux collectionneur s’était ingénié à truffer l’appartement. Cette fois, la trahison était patente ! Séance tenante, il la quitta par le premier vol pour Hangzhou. Pour l’agence, c’était enfin la victoire après six mois d’efforts.
Trompé par son amante, le mari pouvait être furieux. Mais il se consola à la maison, retrouvant une épouse métamorphosée et prête à donner à leur union une seconde vie.
L’intervention de « Cœur sincère » demeurait un secret pour lui, et mieux valait ainsi. Mais à tout prendre, les 60.000€ qu’il payait à son insu pour cette mission, n’étaient pas cher payés : autour de lui faisait rage la campagne anti-corruption. Or 95% des 1,4 million d’hommes appréhendés et punis de 2012 à 2017 pour acceptation de bakchich, s’étaient trouvés avoir une amante, dont ils avaient dû soutenir le train de vie. Ainsi l’agence, en mettant terme à ses frasques, lui a—peut-être—épargné la prison !
2 Commentaires
anneribstein
27 janvier 2018 à 22:35Et voilà une fable de La Fontaine, à la morale ambivalente qui fait sourire. On se sait pas trop à qui s’identifier. Mais le lecteur français trouve aussi là matière à jubilation, avec les « ingrédients » dépaysant d’une bonne histoire qu’il n’aurait pu imaginer dans ces rebondissements là.. Merci
severy
29 janvier 2018 à 16:40Cette histoire illustre à la perfection la chanson de Kahn & Donaldson ‘Makin’ Whoopee’.