Diplomatie : Toile chinoise sur le Moyen-Orient

Les 19-23 janvier, Xi Jinping dédia son 1er voyage à l’étranger de 2016 au Moyen-Orient, avec trois objectifs en tête : « pétrole », « Routes de la soie » et « paix dans la région ». Au programme, trois pays, Egypte, Arabie Saoudite et Iran. On croit lire, dans cet itinéraire, un ordre croissant des priorités. 

Au Caire, Xi offrit au Président égyptien A.F. al-Sissi deux prêts bonifiés d’un total d’1,7 milliard de $, pour le raccordement par le groupe chinois Juzoba de 260 villages à l’eau courante. Il s’agit en fait d’une vitrine du savoir-faire chinois, en marge d’un programme de coopération de type « une ceinture, une route » (ou « Routes de la soie »). Les chefs d’Etat signèrent également 21 accords bilatéraux, pour 14 milliards de $, en centrales électriques, routes, lignes ferroviaires, aéroports, villes et zones d’agriculture nouvelles. Fidèle au modèle chinois d’aide au développement intégré, les accords englobaient aussi de la formation, des construction d’écoles et d’un centre spatial à 25 millions de $. 

Xi s’adressa aussi au Parlement égyptien et à la Ligue arabe, essentiellement pour la paix en Syrie. Sa visite avait été précédée de contacts discrets mais intenses, à Pékin et dans la région, afin de rassembler autour d’une même table les deux parties en guerre civile : la Coalition Nationale (d’opposition) et le gouvernement de Bashar el-Assad. 

Puis à Ryad, en Arabie Saoudite, Xi arriva chez le premier fournisseur pétrolier de la Chine, lui ayant livré l’an dernier 50 millions de tonnes (16% de ses importations). Ryad veut protéger sa part de marché, en dépit de la concurrence débridée à travers le monde – due au fait que les Etats-Unis utilisent leurs propres hydrocarbures de gaz de schiste. Entre Chine et Arabie Saoudite se dessine une coopération particulière, par investissements croisés. Ainsi sur la Mer Rouge, avec le roi saoudien Salmane, Xi inaugurait la raffinerie de Yasref, JV entre Aramco et Sinopec d’une capacité de 400 000 barils par jour. Aramco se dit aussi sur le point de racheter une raffinerie en Chine, moyennant 1 à 1,5 milliard de $. Elle lui garantirait un débouché constant à son pétrole, qu’elle vendrait en outre au prix du produit raffiné et non brut. 

14 accords furent signés à Ryad, y compris un contrat pour une centrale nucléaire de 4ème génération à livrer d’ici 2022. Ryad vise un ambitieux plan 16 réacteurs, au coût global de 80 milliards de $, pour préparer l’après-pétrole. La CNEC, consortium chinois, doit aider l’Arabie Saoudite à s’équiper d’un réacteur dérivé de sa filière graphite gaz. Elle espère recevoir sa part des fournitures et de la sous-traitance.
Un autre accord, à la traîne depuis 12 ans, fut ressorti—à la surprise générale. Chine et les 6 Etats du CCG (Conseil de Coopération du Golfe) sont d’accord sur les grandes lignes d’un traité de libre-échange, qui pourrait être signé dès cette année. 

Les deux chefs d’Etat s’engagèrent à élever leurs relations au niveau d’un partenariat stratégique –le premier de ce type dans la région– et durant la visite, Xi Jinping prit parti dans le conflit yéménite, pour le gouvernement légal –proche de Ryad–contre la rébellion Houthi soutenue par l’Iran. 

La dernière étape, Téhéran, fut la plus importante et en même temps la plus mystérieuse. Pas par hasard, Xi est le premier chef d’Etat étranger à fouler le sol iranien, depuis la levée des sanctions qui frappent ce pays depuis des décennies. Les implications sont importantes : 

– la Chine a tenu l’Iran à bout de bras durant toute cette période d’isolement – même si les firmes iraniennes ressentent encore les conditions léonines dont Pékin assortit à l’époque son soutien. Alors que tous les majors internationaux pétroliers et de génie civil piaffent aux portes de l’Iran, la Chine ne veut pas y perdre son avance acquise au fil des années. 

– le pays des ayatollahs retourne sur un marché mondial de l’or noir dont il était exclu. Il vise, selon son vice-ministre du pétrole Amir Hossein Zamaninia, une hausse d’extraction et d’exportation de 800.000 barils par jour avant fin de l’année. 

– à mi-chemin entre Asie et Europe, l’Iran est au cœur de la route de la soie historique et de celle en cours de recréation par la Chine. Ce concept vise, rappelons-le, à exporter à prix cassés les surplus chinois en biens d’équipement (aciers et métaux, centrales électriques, infrastructures de transport et de télécom…), le long de « routes » partant de Chine, ponctuées de zones industrielles. Or en Iran, pays privé de développement depuis 30 ans, tout est à faire, et la Chine dispose en tous domaines des projets adaptés à ses moyens. 

Un défi semble pour l’instant insurmontable : la résolution du conflit syrien, et l’éradication de Daesh, aussi appelé « Etat Islamique » ou « le Califat ». La Chine espère y parvenir, du fait de l’ensemble des moyens qu’elle peut offrir, et de la confiance et de l’écoute dont elle peut jouir auprès de l’ensemble du monde islamique. 

On se rappellera, pour conclure, l’intérêt direct qu’a la Chine dans ce conflit, sous l’angle de sa propre sécurité intérieure : tant qu’existera Daesh, coalition extrémiste, son projet de maîtrise totale sur son Xinjiang restera illusoire. Cette paix au Moyen-Orient n’est pas pour demain –Pékin le sait. Mais avec patience, elle tisse sa toile.

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