Le mystère s’épaissit sur le cas de Lee Bo, disparu de Hong Kong fin décembre et réapparu en Chine – en prison – en janvier. Quatre de ses collègues de la même librairie et maison d’édition avaient disparu dès octobre, trois en Chine et un en Thaïlande. Leur librairie éditait et vendait des titres irrévérencieux envers la Chine.
L’homme disparu en Thaïlande, Gui Minhai, réapparaît le 17 janvier à la TV chinoise, prétendant s’être rendu en Chine « de son plein gré » pour soulager sa conscience d’un accident 12 ans plus tôt à Ningbo (Zhejiang) : ivre au volant, il aurait tué une piétonne, puis fui hors du pays… Mais sa disparition dérange la Thaïlande (Gui étant parti sans tampon sur sa feuille de visa) et la Suède dont Gui est ressortissant. D’après l’enquête, 15 jours après sa disparition à Pattaya, villégiature où il séjournait, 4 Chinois anonymes entrèrent chez lui, emportant ses livres et son PC…
Lee Bo lui, a « quitté » Hong Kong sans passeport. Ici, c’est Londres qui s’inquiète, Lee étant britannique. En janvier, il envoya deux fax à son épouse, qui tente depuis d’enterrer l’affaire pour faciliter sa libération.
Parlant de Lee Bo, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi déclare que sa nationalité chinoise « prévaut » sur la britannique, tout en lui reprochant des actes antichinois. Lee prétend être allé en Chine « régler des affaires », et prie le monde de « respecter son choix personnel ».
Suite à ces disparitions, les dégâts s’annoncent cependant déjà lourds : dans les librairies, les ouvrages mal vus du régime disparaissent, et un malaise traverse la ville, face à l’idée de critiquer le régime.
Des questions de fond se posent, inévitables : qui peut avoir programmé l’enlèvement – si enlèvement il y a eu – de 5 hommes sur trois mois, dont 2 à hors frontières ? Pékin, et à quel niveau ? Trois sources, et trois motivations hypothétiques viennent à l’esprit :
– une telle opération, décidée à Pékin au sommet, servirait à préparer Hong Kong à l’expiration du Traité de dévolution en 2047. D’ici là, seraient aplanies graduellement les libertés du « Rocher » pour les harmoniser au niveau national ;
– décidée au Bureau des Affaires hongkongaises, elle permettrait au responsable national, Zhang Dejiang, de créer une situation irréversible, avant la fin de son mandat en 2017 ;
– décidée au niveau local, à Canton ou Shenzhen, elle exprimerait l’indignation d’un cadre régional, face à l’irrespect d’un ou plusieurs titres de l’éditeur envers le chef de l’Etat.
Quelle que soit la cause, ce mystère pourrait entraîner des réactions : à Hong Kong, la jeunesse attachée à ses libertés peut vouloir protester. À l’étranger, le Traité de dévolution et le principe de « un pays, deux systèmes », peuvent apparaître maltraités, avec perte d’image pour le régime. La question finale étant de savoir si le jeu en vaut la chandelle.
Sommaire N° 3 (2016)