Le 13 août, Pékin démentit l’existence au Xinjiang de « camps de rééducation » : avec raison sous l’angle sémantique, mais la dénégation tenait du jeu de mot. Car les centres qui se montent à grande vitesse sur le territoire autonome, sont officiellement consacrés à la « transformation par l’éducation » (教育转化 jiàoyù zhuǎnhuà) ou à l’« école contre l’extrémisme » (去极端化教育 qù jíduān huà jiàoyù ). Pékin s’inscrivait en faux contre un rapport du 10 août par un Comité de l’ONU pour l’élimination des discriminations raciales, parlant d’un « déploiement massif de camps d’internement secrets et hors loi »…
Cet effort sécuritaire sans précédent est pourtant attesté par de multiples sources (presse, ONG, ONU, gouvernements) depuis mars 2017. En août, un chercheur américain identifie par satellite 34 camps, et voit leurs surfaces augmenter régulièrement. Surgissent aussi des « orphelinats » pour enfants des détenus – 18 pour la seule ville de Kashgar.
En janvier 2018, étaient cités 120.000 détenus. En août, selon China Human Rights ils sont passés à 660 000, en sus de 1,3 million soumis à de courtes sessions de « formation ». Le rapport de l’ONU précise que 21% des « arrestations criminelles » enregistrées en 2017 à travers la nation, frappaient les Ouighours.
L’ampleur de cette reprise en main sur le Xinjiang est confirmée par quelques données financières échappées à la censure : 27 millions de $ pour la surveillance du territoire en 2015, se sont transformés un milliard de $ au premier trimestre 2017. En 2018, 9 milliards de $ auraient été affectés aux commandes de caméras à reconnaissance faciale aux carrefours et dans les magasins (aux frais des propriétaires), de GPS pour traquer les véhicules, et autres équipements à intelligence artificielle (IA).
Le cadre réglementaire jette une lumière sur la rigueur des contrôles. Tous les citoyens de 12 à 65 ans sont évalués –quoique certains, plus que d’autres. Un questionnaire aux habitants d’Urumqi quantifie leur religiosité, le nombre de prières quotidiennes, leur lieu (foyer ou mosquée), contacts étrangers, sorties de Chine, surtout vers 26 pays suspects d’intégrisme. Diverses pratiques islamiques sont notées : port du voile, de la barbe, éducation religieuse privée, choix de prénoms musulmans pour les bébés. Il n’est pas bon d’avoir un cousin sorti du pays, ou consulté un site étranger… Le relevé d’identité inclue la prise des empreintes digitales, de l’iris et de l’ADN. En fin d’analyse, tout citoyen reçoit un label—fiable, moyen ou peu sûr—ce dernier terme entraînant des conséquences…
Parmi les activités du camp figurent la répétition de slogans du Parti, de chants révolutionnaires. Des mauvais traitements sont signalés, par des témoins ayant pu gagner l’étranger et osant parler malgré la menace sur leurs proches. Un objectif implicite est d’amener le détenu à renier sa foi et dénoncer ses parents et amis, en échange de sa remise en liberté. Fait remarquable, la mesure d’internement n’est pas considérée comme un châtiment. Elle ne nécessite donc aucun jugement de justice.
Dans tous les domaines de la vie sociale, les personnages disposant d’une notoriété ne sont pas à l’abri – de ce fait, l’effet d’intimidation collective est accru. Parmi les détenus célèbres, figurent le footballeur E. Hezimi, la pop star A. Ayup, et les professeurs en université Rahile Dawut et M.S.Hajim (décédé à 82 ans en camp après 42 jours).
Manifestement, face à cette minorité, est intervenu un changement fondamental de stratégie. Dans les années ‘70 sous le 1er ministre Zhou Enlai et jusqu’aux années ‘90 sous Jiang Zemin, l’objectif était l’assimilation fraternelle à long terme, dans le respect du mode de vie minoritaire comme pour le Tibet. À présent prévaut une nouvelle stratégie : elle peut s’ expliquer par différentes raisons, issues de l’histoire récente.
Il y a d’abord eu la vague d’attentats ouighours de la dernière décennie. Le plus sanglant d’entre eux, à Urumqi en 2009, causa plus de 200 morts, suivi par d’autres les années suivantes, faisant parfois des dizaines de victimes. Ces actions terroristes visaient la séparation du territoire, voire une indépendance sous le nom mythique de « Turkestan Oriental ». Pékin a décidé de mettre un terme définitif à ces projets : de pacifier son Ouest une fois pour toute.
Sa détermination fut consolidée par la participation avérée de 2000 Ouighours aux troupes de Daesh, voire de Al-Qaïda – ces jeunes, cherchant secrètement à retourner au pays après la guerre de Syrie, étant traqués. Selon le quotidien Global Times (12 août), la politique sécuritaire menée au Xinjiang a permis à la Chine de « s’épargner une Libye, une Syrie chinoise ». La répression a aussi été jugée nécessaire en préalable à l’ouverture des routes terrestres de la Soie (BRI) vers l’Asie Centrale : impossible d’ouvrir les points de passage vers le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Afghanistan et le Pakistan (tous pays qui ont une frontière avec le Xinjiang), sans sécurisation préalable, au risque de voir s’intensifier attentats et islamisation galopante.
Un dernier élément-clé de cette campagne, est Chen Quanguo, l’ex-secrétaire du Tibet nommé au Xinjiang en 2016. Administrateur exceptionnel, Chen a inventé et déployé sur les deux territoires les nouvelles formes de contrôle en camps, en ville et en campagne, les commissariats de proximité et les outils modernes de surveillance soutenu par l’analyse des « big data ». Au vu de ses résultats au Tibet puis au Xinjiang (l’arrêt instantané de tous troubles), Chen a reçu tous pouvoirs pour les déployer.
Suite à cette campagne frappante, l’image extérieure du pays, pour l’instant, ne semble pas trop souffrir — par prudence diplomatique, les Etats du monde islamique comme ceux de l’Occident gardent encore le silence. Les provinces voisines aussi, à majorités musulmanes, telles Gansu ou Ningxia tremblent à l’idée que Pékin étende ces nouvelles recettes sur leur sol… Mais pour l’avenir, rien n’est certain !
1 Commentaire
severy
14 septembre 2018 à 12:56Si le système de surveillance était poussé jusqu’au point de détecter le cancer ou d’autres pathologies chez les personnes espionnées, on ne pourrait que se lamenter de ne pas être né chinois…