Politique : Depuis Tianjin – cris et chuchotements

Accusé de « sérieuses fautes de discipline », Huang Xingguo, 61 ans, maire de Tianjin et Secrétaire du Parti « par intérim », fut arrêté le 10 septembre par la Commission Centrale de discipline du Parti (CCID), présidée par Wang Qishan. Avec neuf années à la mairie, Huang battait le record de longévité à ce poste dans une métropole. De plus, le fait qu’il ait été maintenu 21 mois en tant que Secrétaire « par intérim » est rare à ce niveau de fonction.

Tianjin est la 4ème ville du pays : le Secrétariat du Parti y est un poste si stratégique que depuis 1984, tous ses titulaires (sauf un) ont eu leur place au Bureau Politique, l’antichambre des décisions suprêmes. En bonne règle, Huang aurait dû en octobre prochain se voir confirmé Secrétaire à part entière, puis intégrer le cercle fermé du Bureau Politique en 2017, lors du XIXème Congrès. Le fait qu’il ait végété 21 mois sous ce statut provisoire, suggère qu’il avait un problème à Pékin—avec Xi Jinping. Que s’est-il passé ?

Comme souvent au PCC, tout est question d’allégeances et de rapports personnels. En 1998, Huang était le Secrétaire de Ningbo (Zhejiang), non loin de Xi. Les hommes se connaissaient, mais dès l’époque, Huang s’était rangé sous la bannière de Jiang Zemin, qui collectionnait les allégeances afin de conserver son influence bien au-delà de son mandat suprême prenant fin en 2002. En 2007, Huang devenait maire de Tianjin, sous Zhang Gaoli, son supérieur hiérarchique (Secrétaire du Parti) ET son allié dans la faction de Jiang.

Ce n’est qu’en juin 2016, tardivement, que Huang a clamé sa fidélité à Xi Jinping, dix mois après l’énorme explosion chimique au port de Tianjin qui causa pour des milliards de $ de dégâts et 187 morts. Suite à ce drame, des dizaines de cadres furent démis ou blâmés, dont 5 de haut rang provincial ou ministériel. Mais Huang était resté indemne, apparemment protégé par une main invisible. Jusqu’à ce que sa tentativede ralliement à Xi (en vain) signale la fin de cette protection.

Huang n’est pas tombé seul : le 22 août, Yin Hailin (56 ans), vice-maire de Tianjin le précéda sous l’imputation de corruption. Yin avait le même protecteur, Zhang Gaoli dans la faction de Jiang. Dix ans avant, Yin avait été un des créateurs de la zone industrielle de Binhai dans le port de Tianjin, pour le compte de Zhang Gaoli, et qui monterait en 2013 Vice-Premier et membre du Comité Permanent.

Aussi, selon certains observateurs, ces deux arrestations auraient eu lieu pour permettre la mise en accusation de Jiang Zemin et de son bras droit Zeng Qinghong lors du prochain Plenum d’octobre. D’après Xin Ziling, officier à la retraite proche d’une aile libérale et modérée, Xi Jinping aurait obtenu fin juillet, lors du conclave balnéaire de Beidaihe, « un consensus pour résoudre le problème Jiang Zemin—Zeng Qinghong ».

La destitution des leaders de Tianjin viseraient à contraindre leur patron Zhang Gaoli à renoncer lors de votes au Comité Permanent, à protéger Jiang – l’homme qui cristallise la résistance conservatrice aux réformes. Deux autres lieutenants de Jiang au Comité Permanent, Zhang Dejiang et Liu Yunshan, voient d’autres enquêtes en corruption diligentées par la CCID, sur des agences dont ils ont la charge (le Bureau de Liaison à Hong Kong, le Bureau des affaires de Hong Kong et Macao, le Département de la propagande). Jiang par ailleurs, n’a plus été vu en public depuis plus de six mois.

Aux manettes de Tianjin, sans attendre, Xi Jinping a fait nommer un homme sûr : Li Hongzhong, 60 ans, ex-secrétaire du Hubei. Dès janvier, Li multipliait les gestes de fidélité à Xi Jinping, et avait été parmi les premiers leaders régionaux à réclamer début 2016, la reconnaissance formelle de Xi comme « coeur » du PCC – une loyauté qui rapporte gros !

Toutes ces évolutions qui restent à confirmer, interviennent à l’aube de l’important Plenum d’octobre et à un an de l’encore plus crucial XIXème Congrès de 2017.

Selon la règle interne, le Plenum doit désigner un leader « de la 6ème génération » pour succéder à Xi en 2022. Si les choses devaient se passer comme durant les règnes de Jiang et de Hu Jintao, cette relève ne serait pas désignée par Xi lui-même mais par son prédécesseur, suivant le mécanisme conçu par Deng Xiaoping pour éviter le retour de ce qui fut la hantise des années ‘60-70 : le pouvoir solitaire et le culte de la personnalité.

Cependant la rumeur ferme va plus loin : déçu par 20 ans de sclérose et d’immobilisme de la réforme, Xi voudrait orienter le pays vers un type de régime différent : « un régime présidentiel », plus fort, faisant l’économie au moins partielle des votes au Bureau Politique et à son niveau supérieur, au Comité Permanent . Le pouvoir serait formellement transféré aux mains des Commissions ministérielles déjà créées par Xi Jinping, composées de ses propres conseillers. Tel serait le mécanisme conçu par Xi pour libérer le train des réformes sociétales et financières promises par Xi depuis 2012, mais bloquées depuis par les lieutenants de Jiang Zemin pour le compte des privilégiés et des grandes familles historiques.

Il ne faut pas se leurrer, cette nouvelle voilure du navire PCC, moins collégiale et plus autoritaire, pour devenir fonctionnelle, devra franchir de grands obstacles : comment convaincre les institutions traditionnelles à passer la main? C’est ce que les mois prochains auront à révéler.

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