Chaque été, entre juillet et août, les dirigeants chinois se retirent de la scène médiatique pendant une dizaine de jours pour se rendre à Beidaihe (Hebei), à quelque 280 km de Pékin. A la même période, la station balnéaire se transforme en un bunker où les allées et venues sont étroitement contrôlées et où les Tesla sont interdites, soupçonnées d’être utilisées à des fins d’espionnage… Cette année n’a pas dérogé à la règle. Xi Jinping et consorts n’ont effectivement plus été vus en public du 1er au 15 août.
Cette tradition ne date pas d’hier. Elle aurait été instaurée en 1953 par Mao, nageur occasionnel tombé sous le charme de ce lieu de villégiature situé en bord de mer de Bohai. Le Grand Timonier prend alors l’habitude d’y convier ses fidèles pour des réunions de travail informelles.
Cette retraite estivale deviendra peu à peu un rendez-vous politique incontournable durant lequel les caciques sont censés se mettre d’accord sur les grandes orientations politiques de manière à éviter d’avoir à régler leurs différends lors de meetings officiels, ce qui pourrait affecter « l’unité » du Parti. Les anciens dirigeants sont également conviés afin de donner leurs avis sur des sujets importants, comme les nominations.
Etant donnée la nature extrêmement opaque de l’appareil, ce rassemblement, ses participants ainsi que son agenda, ne sont jamais dévoilés. La presse officielle se contente de rapporter le déplacement des leaders à Beidaihe afin de « rencontrer des experts », manière de reconnaître à demi-mots l’existence de cette « université d’été ».
Elle n’a pourtant pas toujours été du goût de tous. En 2003, sous l’ex-Président Hu Jintao à peine installé au pouvoir, une directive a formellement interdit aux cadres de « travailler depuis Beidaihe ». En 2015, la rumeur prêtait également à Xi Jinping la volonté de mettre fin à cette tradition : officiellement pour améliorer la transparence de la gouvernance, officieusement pour ne pas donner l’opportunité aux « anciens camarades » de l’utiliser à des fins politiques en pleine campagne anti-corruption.
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Ce rendez-vous a-t-il perdu en importance, sous l’influence de Xi Jinping ? A-t-il même encore lieu ? C’est la question qui agite certains observateurs étrangers depuis quelques années.
Charles Parton, éminent sinologue, met sérieusement en doute l’existence de ce conclave : pourquoi Xi Jinping, dirigeant ayant concentré le plus de pouvoirs depuis Mao, aurait-il encore besoin de se concerter avec les anciens leaders avant de prendre une décision ? Et qui sont ces ex-dirigeants qu’il serait absolument nécessaire de consulter ? La plupart sont décédés (Li Peng), séniles (Jiang Zemin) ou hospitalisés (Zhu Rongji). Ceux qui représentaient une menace pour Xi Jinping (Zhou Yongkang, Bo Xilai, Sun Zhengcai) ont écopé de la perpétuité à la prison de Qincheng, aux abords de Pékin. Ceux qui sont encore en bonne santé (Zeng Qinghong, Hu Jintao, Wen Jiabao), ne sont pas tous réputés avoir conservé une influence déterminante sur la vie politique du Parti. Et encore récemment, ils ont été priés de ne pas « commenter négativement » les politiques actuelles…
La question de l’existence ou non de ce rassemblement secret est pourtant cruciale. Si l’actuel Premier secrétaire du Parti a toujours besoin de rencontrer les anciens dirigeants pour discuter et valider ensemble les grandes décisions politiques (comme un prétendu abandon de la stratégie « zéro Covid ») et la composition du prochain Bureau Politique, alors il n’est pas aussi puissant que certains le pensent.
A ce jour, il paraît cependant acquis que Xi Jinping soit reconduit au pouvoir lors du XXème Congrès qui se tiendra le 16 octobre prochain. Mais pour combien de temps : cinq ans seulement, pour dix ans, pour la vie ? Un nouveau modèle de succession sera-t-il mis en place ? Si oui, selon quelles modalités ? A quelle échéance ? Autant de questions cruciales qui doivent absolument être débattues, à Beidaihe ou ailleurs…
Sommaire N° 28-29 (2022)