Taiwan : La visite de Nancy Pelosi exacerbe la guerre froide sino-américaine

La visite de Nancy Pelosi exacerbe la guerre froide sino-américaine

Que retenir de la visite de Nancy Pelosi, représentante du groupe démocrate à la Chambre des représentants des États-Unis, à Taïwan, le 2 et 3 août ?

Symboliquement, ce déplacement, réalisé au nom de la défense la démocratie dans le monde, est positif pour Taipei car il montre que Pékin, malgré ses menaces, ne peut contrarier les visites de personnalités politiques de haut niveau. Des visites similaires de responsables d’autres pays sont d’ailleurs à prévoir.

Cependant, force est de constater que l’épisode a augmenté le niveau de tensions dans le détroit sans modifier durablement les forces en présence.

Quoique la visite d’une politicienne de 82 ans dont c’est le dernier mandat à la chambre basse du Congrès, n’engage en aucun cas la Maison-Blanche, Pékin n’a cessé de présenter la chose comme une « provocation ». En réaction, la Chine de Xi Jinping s’est sentie « forcée » d’envoyer en cinq jours plus de 100 avions, 40 navires et 10 missiles faire le tour de l’île, jusque dans la zone économique exclusive (ZEE) du Japon.

Cette démonstration de force a mis en exergue la capacité de l’Armée Populaire de Libération (APL) à mobiliser un ensemble d’avions et navires militaires en peu de temps. Cela laisse également supposer que la planification de ces exercices précédait la visite de Pelosi et que la Chine n’a sans doute choisi de donner à celle-ci une importance démesurée que pour justifier des exercices militaires agressifs.

La surréaction chinoise ne peut que renforcer la méfiance occidentale vis-à-vis de la Chine et son soutien à Taipei. Elle démontre également l’impréparation des capitales européennes à une éventualité militaire.

Du point de vue économique, les investisseurs, déjà inquiets d’investir en Chine du fait des restrictions liées au Covid, des mesures de contrôle arbitraire des marchés et des sanctions russes en riposte à l’invasion de l’Ukraine, vont encore plus songer à diversifier leurs investissements.

D’où la question suivante : si la Russie peut envahir l’Ukraine en dépit du droit international en niant que l’Ukraine soit un pays, la Chine populaire – qui nie la réalité de la souveraineté de facto de la République de Chine sur l’archipel formosan – pourrait-elle être tentée par une « opération militaire spéciale » similaire ?

Certains éléments semblent corroborer un tel scénario, tel le glissement du discours de la Chine elle-même. Il faut rappeler que dans les années 1930, Mao Zedong ne faisait pas de Taïwan une priorité nationale. Mais quand Xi Jinping annonce en 2019 que l’intégration de Taïwan est un objectif nécessaire de la « nouvelle ère » chinoise, il pose un calendrier clair et rappelle que le recours à la force est toujours possible.

La nécessité d’une prise de Taïwan avant 2030 ou « au pire » 2050 est renforcée du fait qu’aux yeux de Pékin l’indépendantisme taïwanais gagne du terrain en même temps que les Etats-Unis renforcent leurs liens militaires et politiques.

La Chine, instruite de l’exemple russe, a déjà entrepris de définir l’impact de sanctions internationales possibles sur son économie en cas de guerre. Plus encore, en refusant de condamner la Russie et en entraînant avec elle une partie des pays du Sud, la Chine cherche aussi à tester les limites de ces sanctions.

Il existe néanmoins des freins à une telle aventure, comme les 400 000 Chinois qui vivent à Taïwan et le caractère paradoxal du discours chinois qui à la fois menace et exhorte les « compatriotes taïwanais ». Tant que la Chine affirme que le désir d’indépendance est le fait d’une petite minorité, elle se trouve dans la situation de justifier l’injustifiable : pourquoi attaquer tout un pays si la majorité voudrait d’une réunification ? Dans les faits, on sait que les partisans d’une unification immédiate sont très minoritaires, moins de 4% de la population. Toute attaque militaire devra donc être précédée d’un changement rhétorique qui imputerait le crime de lèse-majesté indépendantiste à une majorité endoctrinée, devenue incurable, et donc devant être liquidée et remplacée. Des éléments d’une telle transformation sont déjà perceptibles sur les réseaux sociaux chinois, mais ne constituent pas encore une politique officielle.

L’autre élément qui s’oppose à une intervention militaire, c’est bien entendu le poids de Taïwan dans l’économie chinoise. Une attaque de Taïwan paralyserait la source principale de semi-conducteurs hauts de gamme et aurait des répercussions mondiales à une époque de pénétration ubiquitaire de l’électronique dans les objets de la vie quotidienne.

Enfin, c’est évidemment la perception par la Chine de la capacité de l’APL à surpasser l’armée américaine dans le Pacifique qui est décisive. La Chine ne peut entreprendre de lancer une offensive que si elle est sûre d’être capable de prendre assez vite le territoire ennemi tout en résistant à une contre-attaque américaine.

En clair, la seule chose qui tient encore Pékin à distance de Taipei est Washington. Dans ces conditions, la stratégie américaine doit-elle évoluer ? Le débat se concentre autour de la question de savoir si les Etats-Unis doivent mettre fin à leur ambiguïté stratégique : doivent-ils affirmer sans détour que toute attaque de Taïwan par la Chine entraînera une riposte américaine ou bien simplement continuer à s’opposer à toute réunification par la force ? Certains affirment qu’une telle clarification serait contre-productive parce qu’elle lierait Washington à Taipei et pourrait favoriser l’indépendantisme sur l’île. D’autres soutiennent que c’est le doute sur une intervention américaine qui pourrait laisser Pékin croire qu’une invasion « éclair » est du domaine faisable.

Pour éviter ce risque, il faudrait proposer une double clarification posant une limite claire à Taipei tout en certifiant de l’engagement américain. D’une part, rassurer Taipei en confirmant que Washington répliquera en cas d’attaque ; d’autre part, conforter Pékin en affirmant que Washington ne viendra pas en aide à l’archipel formosan en cas de « provocation » de la part de Taipei. Plutôt qu’une ambiguïté qui parait de moins en moins stratégique, une double clarification serait plus géopolitiquement viable.   

Par Jean Yves Heurtebise

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
4.67/5
3 de Votes
1 Commentaire
  1. severy

    Très bien écrit. J’ai plutôt l’impression que les Taïwanaia préféreraient garder profil bas afin de continuer à vivre calmement sans craindre une invasion. Les affaires entre Taïwan et la Chine profitent aux deux côtés du détroit de Formose. Les Américains devraient rester aussi discrets que par le passé, assurant, grâce aux ventes d’armes, une défense efficace de la république. Aux Taïwanais de choisir de rester démocratiques ou d’adopter le style carcéral à la 1984 de la dictature d’en face.

Ecrire un commentaire