A six semaines du XIX. Congrès du Parti, le 18 octobre à Pékin (2300 délégués qui approuveront l’équipe et le programme du prochain quinquennat), la tension est palpable, à lire entre les lignes de la presse officielle. Depuis octobre 2012, d’immenses forces s’activent silencieuses et inlassables, préparant le second mandat du Président Xi Jinping.
La campagne pour la « loyauté et la discipline » et celle anti-corruption ont fait dans le monde politique et des affaires, l’effet d’une mini-révolution culturelle. Faisant accroc au principe de la collégialité de la direction pour revenir à un système axé autour d’un homme fort, Xi s’est fait reconnaître « cœur » du Parti, à qui tout cadre doit allégeance. Un million d’entre eux ont été purgés, même dans l’armée.
Le dernier en date, au plus haut niveau, est Sun Zhengcai, hier encore Secrétaire du Parti à Chongqing. Accusé de mollesse dans le démantèlement du réseau de Bo Xilai —son prédécesseur, et 5 ans plus tôt le grand rival de Xi Jinping— Sun est destitué. Incidemment, il passait pour le favori de l’ex-Premier ministre Wen Jiabao, lors de la succession de Xi.
Ecartés aussi, cinq dirigeants de la Ligue de la jeunesse qui fut le fief de Hu Jintao, l’ancien n°1 jusqu’en 2012. Non invités au XIX Congrès, ils sont accusés d’élitisme, « trop loin du peuple ». Leurs carrières s’arrêtent là – peut-être même celle de la Ligue.
Ces purges massives ont permis à Xi d’écarter ses ennemis, mais aussi de ranimer un principe tombé aux oubliettes depuis des lunes : la méritocratie, plutôt que le clientélisme triomphant chez Hu et Jiang, le piston et la corruption. Dans l’armée comme dans le civil, la relève insufflée depuis deux ans par Xi est plus jeune (l’âge ne compte plus, seule la compétence), et aux mains propres.
Dans l’APL, le chef d’état-major est Li Zuocheng, vétéran de la guerre du Vietnam : un homme d’active, pas un fils du sérail. 138 généraux ont été nommés au 1er août—tous fidèles à Xi, et qui contrebalanceront ceux installés par Jiang et par Hu.
Xi a nommé 23 secrétaires, 24 gouverneurs (sur 31 provinces), 8 ministres, 4 présidents d’organes. Dans cette masse, 67 iront au Comité Central. Or quand on épluche leurs CV, on apprend que 29 d’entre eux ont travaillé avec Xi par leur passé, ou bien avec un de ses lieutenants. C’est donc leur talent, mais aussi leur loyauté qui les a fait monter.
Parmi les derniers nommés, He Lifeng, ex-secrétaire du Fujian va diriger la NDRC—le super-ministère de l’économie, et Zhong Shan devient ministre du Commerce. Shu Guozeng, autrefois auprès de Xi à Hangzhou (Zhejiang), va présider la Commission de Discipline au Bureau général du Comité central – la police du Parlement interne. Xu Lingyi, son prédécesseur, a réuni les preuves pour briser Sun Zhengcai : le voilà promu l’un des vice-leaders de la toute puissante CCID, la police nationale du Parti. Au même rang, il aura à ses côtés Li Shulei, intime de Xi et rédacteur de ses discours.
Chen Zugui passe maire de Shenzhen, ville-enclave du Guangdong. Premier fils du pays à diriger sa ville en 27 ans, il exécutera en 5 ans un plan « à couper le souffle » : pour intégrer Shenzhen à une grappe de villes du delta, il va créer 3 aéroports internationaux, 10 autoroutes, 14 lignes de métro, des zones technologiques et universités (étrangères). Le but est de porter Shenzhen au niveau de mégapoles («city-clusters») telles Los Angeles ou Tokyo.
Xi Jinping a deux favoris, hauts dans les paris pour sa succession en 2022 : Chen Min’er, devenait en juillet Secrétaire pour Chongqing à la place de Sun Zhengcai (ce qui lui assure statutairement une place au Politburo), et Cai Qi l’étoile montante, élevé en mai au rang de Secrétaire pour Pékin.
Reste la question de Hu Chunhua, secrétaire du Guangdong et dauphin déclaré de Hu Jintao. En 2012, Hu avait remis sans retard à Xi Jinping sa présidence de la Commission Militaire Centrale, quoiqu’il n’y fût pas tenu—Jiang Zemin, 10 ans plus tôt, s’était gardé de le faire. A l’époque, la « générosité » de Hu envers son successeur passait pour l’expression d’un deal avec Xi : en 2022, Xi devait accepter Hu Chunhua comme le prochain n°1, dans le respect de la vieille règle de succession inventée par Deng Xiaoping. Aujourd’hui ce scénario est moins vraisemblable : le plus plausible, à l’horizon 2022, est que Xi reste aux affaires par Chen Min’er interposé, deus ex machina dans l’ombre.
D’autant que depuis l’étranger, revues et politologues voient un Xi Jinping de l’après-Congrès, une fois assuré d’une puissante majorité, virer de bord pour casser la vieille machine stalinienne, abordant enfin la réforme politique, remise depuis 20 ans aux calendes grecques. Wang Zhengxu, de l’Université de Nottingham (Royaume-Uni) évoque, comme moyen d’y parvenir, un « changement des rouages politiques ». Depuis Hong Kong, Yazhou Zhoukan le magazine théorique précise : « si Xi sait résister aux pressions internes … il imposera une réforme aujourd’hui inimaginable aux outsiders ». Concrètement, Yazhou évoque le changement des âges de la retraite, la suppression du droit pour les leaders de désigner leurs successeurs, et surtout, la dissolution du Comité Central.
On marche ici sur des œufs : tout est à faire et rien n’est sûr. Mais l’idée exprimée est claire : Xi veut mettre fin au clientélisme corrompu et mobiliser les « jeunes » talents. A terme, l’effet recherché est la création d’un modèle socio-politique capable de relancer l’économie chinoise, et de projeter l’image, le pouvoir du pays dans le monde.
Sommaire N° 28-29 (2017)