Un projet vieux de 40 ans ressort cet été en Afrique, grâce aux groupes italien Bonifica Spa et chinois PowerChina, bâtisseur du barrage des Trois Gorges. Entre Tchad et Cameroun, ils veulent sauver le Lac Tchad, qui se meurt, ayant perdu les 9/10èmes de sa surface. 50 milliards de m3 du fleuve Congo suffiraient, acheminés sur 2400 km de canal et fleuves. Dès 2016, un protocole d’entente fut signé entre 9 Etats, dont la Chine, ceux de la Commission du lac et les deux Congo (Kinshasa et Brazzaville). En juin 2017, ChinaPower lançait l’étude de faisabilité, fournissant les fonds (1,8 million de $) et les équipes techniques.
Complexe, le projet vise à changer la vie de 40 millions de riverains, grâce au débit du fleuve Congo, 41.000 m3 en moyenne rejetés chaque seconde dans l’Atlantique. Selon les calculs de Bonifica, 3 à 4% du débit, additionné de celui des affluents en rive droite, suffiraient à capter non seulement les 50 milliards de m3 requis, mais le double, afin de pouvoir aussi distribuer la précieuse eau aux riverains. Ils convertiraient par exemple en oasis 50 à 70.000 km² de désert du Sahel, alimenteraient une série de barrages, générant 15.000 à 25.000 kWh, assez pour les villes sur le parcours. Le canal serait navigable, doublé d’une route de service, d’un chemin de fer. Des milliers de mini-projets de pêche ou d’aquaculture, d’élevage et d’artisanat vont s’y greffer.
Il reste bien sûr de lourds obstacles à dégager—ceux qui bloquent le projet depuis 40 ans. Comment payer, rembourser le coût en milliards de $ des routes, canaux, barrages ? Assurer la maintenance et prévenir la corruption, maladie n°1 de la région ? L’eau sera-t-elle payée aux Etats-propriétaires ? Comment associer les populations à la gestion pour éviter des sabotages ou guerres de l’eau ? Entre lac Tchad (Nord) et fleuve Congo (Sud), saura-t-on prévenir le mélange anarchique de faunes et flores depuis l’éternité séparées, au risque de catastrophes en terme de biodiversité ? Face à certains de ces problèmes, ChinaPower apporte son expérience amassée en Chine, en 20 ans de construction du Canal Sud-Nord (Yangtzé-Fleuve Jaune), dont la problématique et le cahier des charges sont comparables.
Enfin, pour des raisons politiques, la Chine a tout intérêt à s’investir pleinement pour réussir. Elle a de son côté, l’argent, les techniques, et l’enjeu de prouver par ce projet, que son plan « nouvelles routes de la soie » est une option viable pour le développement futur de l’Afrique. Et le moment est bon—rien ne dit qu’elle puisse encore assumer un projet si colossal dans 10 ans.
Sommaire N° 28-29 (2017)