Le Vent de la Chine Numéro 28 (2024)

du 15 au 21 septembre 2024

Editorial : La Chine recule l’âge de la retraite
La Chine recule l’âge de la retraite

Surprise ce vendredi 13 septembre : après 10 ans d’atermoiements, la Chine a finalement annoncé reculer l’âge de la retraite, resté inchangé depuis 1978. Celui-ci sera désormais de 63 ans pour les hommes, contre 60 ans jusqu’à présent, et de 55 ans (cols bleus) et 58 ans (cols blancs) pour les femmes, au lieu de 50 ans et 55 ans respectivement. Ces changements seront toutefois très progressifs puisqu’ils s’étaleront sur une période de 15 ans. En parallèle : la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite minimale passera de 15 à 20 ans à partir de 2030, au rythme de six mois de plus chaque année.

Cela faisait déjà plus d’une décennie que le gouvernement avait annoncé une réforme « graduelle et progressive » de l’âge de la retraite, sans joindre l’acte à la parole, en partie par peur du mécontentement de la population, alimenté par un fort sentiment d’inégalité au sein de la société chinoise.

Encore en juillet dernier, le leadership du Parti avait rappelé lors du 3ème Plenum que cette réforme était toujours envisagée, sans donner plus de précisions. Ce n’est que la semaine dernière que les choses se sont accélérées avec le vote d’une réforme des retraites par l’Assemblée Nationale Populaire (ANP), accompagnée les jours précédents d’une ribambelle d’articles dans la presse officielle censés préparer l’opinion publique à ce changement « inévitable » du fait du vieillissement accéléré de la population.

En effet, les sexagénaires (et plus) sont passés de 126 millions en 2000 (soit 10,2 % de la population) à 280 millions en 2022 (19,8 % de la population). Selon les estimations de la Commission nationale de santé, ils pourraient être 400 millions en 2035 (plus de 30% de la population). En parallèle, l’espérance de vie des Chinois est passé de 65 ans en 1978 à 78 ans en 2021, et pourrait dépasser les 80 ans en 2050. De quoi mettre à mal le système de retraite du pays : en 2019, l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS) tirait déjà la sonnette d’alarme en calculant que les caisses du fonds de retraite seraient à sec à l’horizon 2035. Et difficile de compter sur le régime de retraite privé qui peine à décoller… De l’autre côté de la pyramide des âges, le taux de natalité n’a jamais été aussi bas qu’en 2023 avec 6,39 naissances pour 1 000 personnes, accentuant un peu plus le déséquilibre démographique du pays.

Ce constat sans appel n’a pas rendu cette réforme plus populaire. Sur les réseaux sociaux, les jeunes, déjà confrontés à un chômage élevé (21,3% en juin 2023, avant la révision de la méthode de calcul), craignent que ce recul de l’âge de la retraite retarde leur entrée sur le marché du travail étant donné que les seniors seront maintenus en poste plus longtemps.

Les autres mécontents sont bien sûr tous les migrants et les travailleurs « flexibles » (chauffeurs, livreurs…) qui devront travailler plus longtemps dans des conditions souvent pénibles (chantiers de construction, travail à l’usine, nettoyage urbain…) pour toucher leur retraite, eux qui ont déjà une espérance de vie plus courte… Il leur faudra surtout trouver des employeurs qui accepteront de payer pour eux des cotisations sociales pendant 5 ans supplémentaires, ce qui n’est pas une mince affaire. Jusqu’à présent, la faiblesse des pensions les poussait souvent à continuer à travailler (au noir) passé l’âge légal. C’était notamment le cas des femmes ouvrières qui n’étaient pas encore devenues grand-mère à 50 ans et qui n’avaient donc pas encore la charge de la garde de leur petit-fils/fille.

Cela n’empêche pas certains démographes de penser que cette réforme à un goût de « trop peu, trop tard ». Un constat similaire à celui tiré lorsque Pékin a aboli la politique de l’enfant unique en 2013, puis autorisé les couples à avoir deux enfants en 2016, puis trois en 2021, avec le résultat décevant que l’on connait aujourd’hui. Pourtant, les enjeux de ce recul de l’âge de la retraite sont tout aussi importants que ceux de la natalité, puisqu’ils contribueront tout deux à dessiner le visage de la Chine de demain.