Petit Peuple : Shanghai : Sun Jinrong, le seigneur des chats 

Cette nuit de décembre à Shanghai, le détective Sun Jinrong arriva à 23h à la résidence de haut vol où il venait d’être appelé en urgence. Sans perdre une minute à écouter les remerciements de la cliente pour s’être déplacé si tard, il se mit au travail, passant au peigne fin l’appartement de 250m² en quête d’indices. Et presque tout de suite, dans la chambre d’amis, il trouva la fenêtre entre-ouverte par laquelle le chat s’était sauvé – deux heures plus tôt, sans doute. L’appartement étant au second étage, Baixue (le nom du matou) avait un chemin aisé vers le sol par la rampe de la gouttière, pour une escapade inespérée – car sa maitresse venait de l’expliquer, elle ne le laissait jamais sortir, par peur qu’on ne lui dérobe cet angora blanc de pure race.

Sans perdre une minute, Sun se rendit au centre de sécurité de la tour, où il se fit projeter les bandes des caméras de vidéosurveillance. Et bingo, cinq minutes plus tard, apparaissait sur écran Baixue trottinant, puis un couple de fêtards tardifs qui apercevait l’angora, l’attiraient pour le caresser, le prenaient dans leurs bras, puis disparaissaient par la porte d’entrée…

C’était une excellente nouvelle. Certes le veilleur de nuit ne reconnaissait pas les voleurs, mais ils étaient de l’immeuble. Retournant à sa camionnette, Sun en tira alors son arme secrète, le détecteur de poil de chat. Après avoir analysé un des poils soyeux laissés sur les fauteuils, il n’eut plus qu’à remonter d’étage en étage et laisser agir la machine. A minuit moins le quart, il frappait à la porte de l’appartement E, au cinquième. Malgré l’heure très tardive, les occupants ouvrirent à l’inspecteur et sa cliente – comme s’ils s’attendaient à une visite inopinée. Avant d’avoir pu répondre à la sommation de l’inspecteur, un miaulement déchirant les trahissait : sur quoi Fu Yu la propriétaire entrait comme une furie chez ces voisins indélicats, ouvrait la porte d’où jaillissait le chat pour se réfugier sous ses jambes. Le reste n’était qu’une formalité : les voleurs penauds devaient verser une belle amende au détective pour éviter la plainte à la police, puis Fu yu lui verserait elle aussi le cachet convenu : affaire réglée ! Sun Jinrong la bourse bien garnie, pouvait rentrer chez lui.

Dans la « tête du dragon » (Shanghai), Sun est un genre de célébrité, ayant déjà sauvé en sept ans plus de 1 000 chiens et chats. Presque toutes les nuits, il sort pour répondre à des appels de propriétaires éperdus. Cela se répète sur internet : sur TikTok, le réseau social, il a 150 000 abonnés, et 76 000 sur Weibo. 30 clients à travers tout le pays ont même souscrit un abonnement permanent. Au plan national, il s’est acquis, à 38 ans, la réputation flatteuse d’un « limier des limiers » !

Pour en arriver là, Sun a suivi une carrière pittoresque. C’est dans l’Anhui, sur le campus de la base aérienne où son père officiait en tant que mécanicien d’aviation qu’il a grandi, recevant de ce milieu rare ses qualités de contrôle de soi et discipline. Sur la base, il a très tôt appris à aimer l’univers animal : après cela, rien d’autre dans la vie n’a su l’intéresser. En 2010, monté avec ses parents à Shanghai, son père l’a forcé à prendre un emploi chez un imprimeur public. Mais chaque fois qu’il put, il passa son temps dans un genre de SPA privé, à trouver de nouveaux foyers pour des animaux abandonnés.  Mais une fois placées, souvent ces bêtes fuguaient, et c’était alors à lui qu’il revenait de les retrouver, ce à quoi il s’était découvert des dons particuliers. C’est ainsi que trois ans plus tard, ignorant les inquiétudes de ses parents, il décidait de « se jetter à la mer » (下海, xià hǎi) : d’abandonner la sécurité de ce job pépère pour se mettre à son compte.

En bon chinois de jeune génération, Sun s’est équipé aux dernières technologies, pièges à chats à détection électronique,  jumelles de vision nocturne, et même un détecteur de signaux vitaux qui lui permet de sonder des recoins inaccessibles en quête d’une bestiole terrée. Passionné par son métier, il apprend à reproduire les chants d’oisillons pour faire sortir les chats de leurs cachettes. Il dévore aussi, en son temps libre, tout ouvrage de référence en zoologie et psychologie animale.

Il faut dire que l’époque lui est favorable : sous le stress au travail et l’exode rural, les gens toujours plus esseulés compensent en s’offrant la compagnie d’un fidèle animal. En 2019, 100 millions de foyers chinois ont un chien ou un chat (+10% par an) et 60% déclarent l’aimer comme leur enfant. Parmi ces bêtes bien sûr, les disparitions augmentent en proportion. Les chances pour Sun de les retrouver sont de 40 à 80% en ville. Par contre, dans les régions tels Dongbei ou Hubei où chiens et chats des rues finissent traditionnellement au wok, elles tombent à zéro…

Pris par sa passion, Sun Jinrong n’a jamais trouvé le temps de se marier. Mais avec les remerciements émus des clients dont il sauve le compagnon à quatre pattes, et l’aventure palpitante qui redémarre à chaque enquête, il a sa récompense. Et pour fonder un foyer, à 38 ans, il n’est pas trop tard : pour rien au monde, Sun Jinrong n’échangerait sa position !

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