Editorial : Les fléaux s’enchaînent

Après l’épidémie de Covid-19, voilà que des inondations (水患, shuǐhuàn) font des ravages dans le sud de la Chine, du Yunnan à l’ouest au Zhejiang à l’est. Au 10 juillet, elles avaient déjà affecté 33,8 millions de personnes à travers 27 provinces et emporté 141 vies selon le bilan officiel. Les dégâts s’élèveraient à 69 milliards de yuans (8,7 milliards d’euros). Chaque été, les régions traversées par le Yangtsé (le plus long fleuve d’Asie, et le 3ème plus long au monde avec 6380 km) sont vulnérables aux crues, une situation aggravée par la déforestation, l’assèchement des zones humides ainsi que le détournement de rivières à des fins d’irrigation ou de production d’électricité.

Les premières semaines de juin, les médias officiels ont été particulièrement discrets sur le sujet… Un silence qui n’a pas échappé aux internautes : « le magazine Caixin est le seul à nous donner des détails sur la situation » écrivait l’un d’entre eux. « Depuis quand nos médias sont-ils plus préoccupés par l’actualité américaine que par la nôtre ? », ironisait un autre. Cependant, cette tentative de minimiser la situation pour ne pas aggraver le climat morose actuel, a échoué. Des vidéos de ponts emportés par les flots, d’habitants bloqués sur le toit de leur maison ou d’élèves cherchant à rejoindre le centre d’examen du Gaokao en kayak, ont vite fini par submerger la toile. Même de vieilles rumeurs sont remontées à la surface, comme celle voulant que le barrage des Trois Gorges soit déformé et sur le point de céder. « De pures fabricationsLe barrage est équipé de capteurs permettant de signaler la moindre anomalie avant même qu’elle ne soit visible à l’œil nu », démentait un haut cadre. « Encore un coup des nationalistes taïwanais », soupçonnait un influent blogueur chinois… Mis en production en 2006, le plus grand barrage au monde, situé à Yichang (Hubei), est censé prévenir les crues sur les bas et moyen cours du Yangtsé grâce à son gigantesque réservoir de 175 m de haut, capable de retenir 39,3 milliards de mètres cubes d’eau. Pour la première fois de l’année le 29 juin, il ouvrait deux de ses portes d’écoulement pour décharger le volume d’eau accumulé (35 000 m3 par seconde), anticipant de nouvelles précipitations.

En aval, Wuhan a les pieds dans l’eau. La promenade le long du fleuve a été fermée, ce qui n’a pas empêché d’intrépides nageurs de braver l’interdit (cf photo). Les autorités s’attendent à ce que le niveau d’eau au port de Hankou atteigne 29,2 m le 16 juillet, soit 23 cm en dessous du niveau enregistré pendant les dévastatrices crues de 1998, ayant causé la mort d’au moins 3 000 personnes et laissé 14 millions sans feu ni lieu. Depuis lors, le pays a déployé énormément de ressources pour réguler le débit des eaux le long du fleuve bleu. Cela peut expliquer des coûts humains et économiques pour l’instant deux fois moindres par rapport aux cinq dernières années. Pourtant, il reste beaucoup à faire : dans le Jiangxi, près de 90% des digues sont « à risque ». De plus, les opérations d’évacuation laissent encore à désirer. Selon Ma Jun, directeur d’un institut indépendant surveillant les rivières du pays (l’IPE), « la Chine a été capable de construire des réservoirs et des barrages géants. Désormais, elle devrait réfléchir à l’urbanisme de ses villes afin de les transformer en « éponges » capables d’absorber les pluies. Elle mitigerait ainsi les risques croissants à long terme [comme le réchauffement climatique] ».

Pour les régions particulièrement touchées par l’épidémie comme le Hubei et le Hunan, ces crues sont un coup dur porté à la reprise économique. À l’instar de l’ex-Premier ministre Wen Jiabao, géologue de formation et toujours sur le terrain en cas de désastre, le Premier ministre Li Keqiang faisait finalement le déplacement dans le Guizhou (6 et 7 juillet), province pauvre spécialisée dans les « big data » et touchée par les intempéries. En visite dans un village, il a rappelé aux cadres les instructions du Président Xi, à savoir leur obligation de remplir leurs objectifs anti-pauvreté une fois les crues passées. Après sa déclaration fracassante à Yantai à propos des vendeurs ambulants, Li faisait à nouveau preuve d’une certaine liberté de ton : « j’ai vu beaucoup de manufactures qui tournent au ralenti. Les entreprises ne devraient pas uniquement compter sur les exportations, et employer davantage de travailleurs migrants ». Entamant les 24 derniers mois de son mandat, il faut s’attendre à de nouvelles déclarations moins en phase avec la ligne officielle de la part du Premier ministre… Dans la même veine, une notice gouvernementale encourageait les 8,74 millions de jeunes diplômés à « retourner dans les campagnes » pour y apporter leur contribution. On le sent, en période de crise, tous les moyens sont bons pour revitaliser l’économie et lutter contre l’instabilité, même remettre au goût du jour des méthodes maoïstes…  Reste à voir si le dicton selon lequel « les calamités peuvent régénérer une nation » ( 多难兴邦 , duōnàn xīngbāng ) dit vrai !

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