Petit Peuple : Xuzhou (Jiangsu) – La cavale d’un tueur putatif

Xuzhou (Jiangsu) – La cavale d’un tueur putatif

À Xuzhou (Jiangsu), en cette douce soirée d’octobre 1990, Zhou Jiahong profitait de la vie. À la terrasse d’un boui-boui de la Huanghe Xilu, il jouait bruyamment avec des copains au Mah-jong, sur une table encombrée, en plus des pièces du jeu, d’un nombre respectable de bouteilles de bière pleines ou vides, quand soudain apparurent quatre types venus de l’échoppe voisine. Poliment, mais fermement, ils prièrent Zhou et les siens de baisser d’un ton, afin de ne pas attirer l’attention sur le commerce, pas toujours respectable une fois la nuit tombée. Mais Zhou, excité par la bière, leur conseilla de les laisser tranquilles, tout en donnant des noms d’oiseaux aux malfrats. Cette insulte donna le signal de la bagarre : les coups fusèrent. L’issue du pugilat demeurait incertaine, quand soudain, Zhou empoigna la table, envoyant voler les empilements de tuiles, et la jeta à la tempe d’un des agresseurs qui s’effondra, cependant qu’une tache de sang s’étalait au sol de terre battue…

Tandis que les agressés se précipitaient au secours du compagnon, les autres s’enfuirent. Ils étaient en tort, les jeux d’argent étant interdits. Aussi pouvaient-ils être sûrs qu’une fois la police sur place, ils écoperaient d’un châtiment sévère, aggravé en outre par le fait que leur combat serait requalifié de rixe entre bandes.

Chez lui, Zhou Jiahong passa une mauvaise nuit, incapable de trouver le sommeil. À l’aube, il alla réveiller son père, lui confessa tout. Celui-ci lui conseilla de retourner voir sans retard. Il se rendit donc au bar, rasant les murs : ce fut pour entrevoir devant l’établissement une Santana bleu et blanc, gyrophare allumé, et des silhouettes en uniforme à l’intérieur…

De retour chez ses parents, se tint une réunion d’urgence. Ce que risquait Zhou, ce n’ était rien moins que la peine de mort si, comme il semblait vraisemblable, sa victime avait succombé. Dès lors, Zhou n’avait aucune chance, sauf à prendre le large, et pour longtemps.

D’une vieille boite à biscuits, sa mère sortit ses économies : 2300 yuans. Dans un sac de sport léger, Zhou réunit quelques effets puis, après une dernière étreinte aux yeux humides, il marcha vers la gare routière par les ruelles, évitant les grandes avenues. Le premier bus partait pour Chongqing, à 16 heures de route. C’était inconfortable, mais au moins, contrairement aux trains et aux avions, les identités n’y seraient pas contrôlées.

Une fois sur place, Zhou Jiahong prit une chambre d’hôtes et se chercha un gagne-pain. Mais impossible de trouver un travail correct sans certificat d’employeur. Pour sa sécurité aussi, il devait rester en clandestinité : dans le bus, un voyageur lui avait raconté les procédures de la police face aux fugitifs, le fichier central, le taux de rattrapage moyen de 95%… Dans ces conditions, il ne lui restait plus qu’à prendre les jobs dont nul ne voulait, toujours sur le qui-vive. Et pendant tout ce temps, le taraudait le poids de sa faute, de s’être rendu assassin par pure bêtise.

Au bout de six mois, voyant dans Chongqing se profiler une opération porte à porte de contrôles d’identité, il repartit s’enterrer à Bayanhot, en Mongolie-Intérieure, à 17h de bus. Là, il put faire des remplacements dans les mines. Un jour, il fut embauché dans un four à briques. Mal lui en prit : ayant deviné sa situation de fugitif, les patrons le retinrent prisonnier, et le firent travailler sans salaire durant des années.

Souvent, sur sa couche, la nuit, Zhou Jiahong pleurait, pensant à ses parents, dont il n’avait aucune nouvelle depuis cette fameuse soirée, à ses amis, à la femme qu’il aurait pu épouser. Enfin après 20 ans de cavale, profitant d’un moment d’inattention du gardien, il réussit à s’enfuir, avec dans sa bourse juste quelques yuans, de quoi payer le bus pour Yinchuan dans le Ningxia. Là, il vivota 10 ans encore, de la collecte des déchets urbains – il triait cannettes et bouteilles de plastique et les portait au refondeur…

Enfin en octobre 2020, Zhou Jiahong fit un bilan de sa vie : après 30 ans de cette vie d’errance, il se dit que son pire ennemi, au fond, était sa conscience qui ne parvenait pas à se pardonner cette erreur de jeunesse. Cela ne pouvait plus durer ! Est-ce que par hasard, la justice des hommes n’aurait pas envers lui un peu plus de pitié ? Il se présenta pour se rendre au commissariat de Yinchuan, mais là, l’attendait la plus grande surprise de sa vie : il n’avait jamais été fiché ! Entretemps, ses parents étaient décédés, sans qu’il ait pu les revoir… Il avait manqué leurs derniers jours, pour rien !

La police lui paya quelques nippes pour son retour à Xuzhou, sa ville natale, et un billet de train. Une fois sur place, il retrouva un de ses vieux copains qui lui révéla que sa victime s’en était tirée, et que la bande de malfrats s’était gardée de porter plainte, craignant la police autant qu’eux-mêmes. Et s’il avait vu des agents au bar le lendemain, ç’avait été par un hasard malencontreux, s’agissant d’une ronde de routine…

Devant une telle vie gâchée, Zhou Jiahong pourrait se dire que sa vie a « germé, mais pas fleuri » (苗而不秀, miáo ér bù xiù). Et pourtant , tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! À 52 ans, dans la fleur de l’âge, il peut commencer à vivre sa seconde vie. Mais pour sûr, la leçon a porté : plus jamais, si tant est qu’il rejoue un jour au Mah-jong, il n’insultera plus quiconque !

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