Une fois en prison, Zhu Xiaodong réalisa effaré qu’il ne contrôlait plus rien de sa vie. Parmi les 12 détenus dans sa cellule se trouvaient de dures racailles, tel ce chef de triade, chauve baraqué au front saillant qui lui avait désigné son lit (le plus mauvais) et toutes les corvées – balayage, lessivage du sol, nettoyage du seau d’aisances, et lavage de ses effets personnels. Au centre de détention, tous étaient au courant de son chef d’inculpation, crime mal vu dans ce milieu. Zhu s’était donc retrouvé ostracisé, brimé, permettant au chef de bande de le forcer à devenir son mignon.
A tout moment, surtout la nuit, revenait le hanter le film de son crime. Il revoyait chaque phase avec froideur, comme si c’était l’œuvre d’un autre, moins poussé par le remords que par l’incertitude. Car l’avocat ne le lui avait pas caché : il risquait la mort, et l’enquête judiciaire n’évoluait pas bien. Chaque semaine au centre d’interrogatoire, les enquêteurs multipliaient leurs interminables questions, mettant à mal l’interprétation que son avocat lui avait conseillé de suivre. Il prétendait avoir tué sa femme sous le coup de la colère, après la découverte d’une infidélité. Le congélateur, il l’avait acheté par hasard – pour stocker la nourriture de ses reptiles d’élevage. Il y avait enveloppé sa femme dans leur couette rouge nuptiale, parce qu’il l’aimait : il avait voulu la protéger du froid dans l’au-delà. Il avait vidé ses comptes bancaires, mais seulement le lendemain : il fallait bien vivre… il était sans ressources, ayant perdu son emploi quelques semaines plus tôt. S’il s’était fait passer pour Liping auprès de ses amies sur son portable entre le meurtre et son arrestation, c’était pour leur éviter le choc de l’horrible nouvelle. Enfin, il y avait eu sa tentative de suicide, et sa décision le lendemain de se constituer prisonnier : c’étaient autant de preuves de ses remords sincères et de sa capacité à assumer son acte, non ?
Au tribunal intermédiaire de Shanghai, sa comparution eut lieu le 23 août 2018, 18 mois et 23 jours après les faits. Le procès fut expédié en quelques heures devant une salle bondée d’échotiers de feuilles à scandale. L’ambiance fut catastrophique pour l’accusé. Il eut beau implorer le pardon de l’ex-belle famille, trop de preuves de la préméditation s’accumulèrent implacablement, faisant voler en éclat toute présomption d’innocence. Le congélateur avait été acheté 15 jours plus tôt, juste à la bonne taille de Liping, en même temps qu’une dizaine de polars décrivant autant de manières de se débarrasser d’un encombrant cadavre. Contrairement aux dires de l’accusé, un des comptes de la morte avait été siphonné le jour de l’étranglement, ce qui dévoilait l’immoralité de son auteur. D’autant qu’après coup, Zhu s’était jeté dans la débauche, amenant à l’hôtel des prostituées qu’il enregistrait sous la carte d’identité de la défunte. Le fait qu’il se soit spontanément rendu, ne changeait en rien la nature « vile et haineuse du crime », ni la préméditation : il fut condamné à mort, sous les applaudissements de la salle, et du pays entier – à cette date, ils étaient déjà 40 millions de d’internautes chinois à s’être passionnés pour l’affaire.
Xiaodong fit appel. Mais son avocat avait beau chercher, il ne pouvait apaiser les appels à mort. A cette époque, Xiaodong retourna au bouddhisme, méditant chaque jour dans sa cellule – le verdict de peine capitale lui avait valu le douteux privilège de quatre murs pour lui seul. Son aspect physique s’était dégradé. Face à la cour intermédiaire en 2018, il se défendait droit dans son costume de playboy et sa chemise. Mais le 5 juillet 2019 devant la haute cour, il comparaissait dos vouté, vêtu d’un T-shirt et d’un short, dévoilant des mollets blafards sans dignité… Il ne fallut qu’une petite heure à la juge pour confirmer la peine capitale.
Il ne restait plus à Zhu Xiaodong qu’une chance infime, celle d’une révision par la cour suprême à Pékin. Durant les 11 mois qui lui restaient à vivre, il se raccrocha à cette planche de salut, priant sous la direction d’un moine bouddhiste qui lui rendait visite chaque semaine.
Loin de s’estomper, sa notoriété fit tache d’huile : en mai 2020, 110 millions de visiteurs – un chinois sur treize – suivaient sur internet son histoire et ses photos, à commencer par celles de sa femme durant sa courte vie, et celle de l’infâme frigo. C’est alors que tomba la sentence de Pékin confirmant l’ordre d’exécution. Le 4 juin 2020, enfin, 1310 jours après le meurtre, Xiaodong agenouillé reçut dans la nuque sa balle fatale. Face à la meute des journalistes Yang Ganlian, le père de la mariée, fit état de son soulagement : « aujourd’hui, au cimetière, j’aurai enfin pour ma fille une bonne nouvelle ». A proprement parler, c’était une faute de logique : car s’il existe une autre vie dans l’au-delà, la jeune morte avait du découvrir bien avant que son père ne le lui dise, que son mari était en train de la rejoindre dans ses limbes…
A tout le moins, la réaction du père permettait à l’observateur de découvrir cette vérité éternelle : transcendant les langues et les cultures, la loi du talion existe en mandarin, sous l’exacte même formule : « œil pour œil, dent pour dent » ( 以眼还眼以牙还牙, yǐyǎn huán yǎn, yǐ yáhuányá).
1 Commentaire
severy
5 juillet 2020 à 21:53Comme son nom la dépeint, la loi du talion est une loi léonine. Aussitôt appliquée, elle se teint de rouge et sent le fauve.