Sur la crise en mer de Chine du Sud, la Cour arbitrale de La Haye (12 juillet) a changé la donne. Au nom de la Convention internationale du droit de la mer, et au déni de sa « ligne aux neuf pointillés » (九段线), Pékin s’est vu refuser tout droit à occuper des îles dans la Zone Economique Exclusive de Manille. La Chine a bien sûr dénoncé le jugement, mais cela n’a fait qu’exacerber la tension et forcer des pays plutôt en sa faveur, à revoir leurs positions, en défense du droit international.
Le 31 août, par la voix d’un de ses officiers supérieurs, l’US Army avertissait l’Australie de faire son choix, « entre une alliance avec les USA et un engagement économique avec la Chine ».
Le 16 août, Liu Zhenmin, vice-ministre chinois des Affaires étrangères, sommait Singapour, son soutien de longue date, de cesser d’interférer dans les affaires en mer de Chine du Sud « dont Singapour n’est pas partie prenante ». Lee Hsien Loong, son Premier ministre, avait un mois plus tôt salué le verdict de La Haye comme « une importante position de droit maritime »…
Autre grand allié de Pékin à l’ASEAN, le Laos à son tour, se met à vaciller. Suite à une défaite électorale, le vice-Premier ministre Somsavat Lengsavad s’est retiré, et un projet ferroviaire chinois à 7 milliards de $ est en panne sur fond de différend commercial. La rumeur évoque un rapprochement du Laos avec le Vietnam et les Etats-Unis – Obama s’apprêtant à visiter Vientiane.
Nonobstant, en août, la Chine a poursuivi ses manœuvres aériennes sur les Spratleys (bombardiers H-6K, chasseurs Su-30) et navales en mer de l’Est autour de l’archipel Diaoyu-Senkaku (14 bâtiments militaires accompagnés de 230 chalutiers). Elle a aussi bâti des hangars pour 30 appareils, sur trois atolls des Spratley.
Face à ces actes, le Président philippin Rodrigo Duterte multiplie les prises de paroles aux tons divers, sans peur de se contredire. Refusant « pour l’heure » de brandir le verdict de La Haye, il envoie à Pékin l’ex-Président Fidel Ramos négocier un partage des ressources (pêche, tourisme) autour de Scarborough Shoal. Il évoque aussi ensuite la possibilité d’une résistance « sanglante » en cas d’autres occupations d’îles, avant de revenir à des propos plus amènes, suppliant les « frères » chinois de ne pas traiter les siens en « ennemis »…
Sur le front vietnamien, la stratégie chinoise n’est pas plus claire : du 29 août au 1er septembre, Fan Changlong, ministre de la Défense, reçoit son homologue Ngo Xuan Lich, les deux hommes se promettant pour leurs nations de meilleures relations militaires. Mais contredisant ce bon climat, la flotte Sud de l’APL se déployait huit jours plus tôt durant trois jours de manœuvres dans le golfe du Tonkin aux portes du Vietnam : 13 garde-côtes, escorteurs, dragueurs de mines et barges de débarquement, une escadrille de combat…. Tout en rappelant que « puisque les problèmes de frontières sont réglés, ces exercices ne peuvent pas être interprétés comme hostiles au Vietnam ». Hanoi pour l’instant se borne à affirmer qu’une guerre dans la zone, ne ferait pas de gagnants.
C’est alors qu’apparaît le 29 août un article signé de l’analyste Francesco Sisci, porteur d’un message surprenant et comme « venu d’ailleurs ». Constatant avec raison l’érosion rapide des alliés de la Chine sur ce dossier maritime après le verdict de la Cour arbitrale, et les risques de dérapage qui croissent de jour en jour, aux conséquences imprévisibles, Sisci avance que Pékin n’a plus qu’une « force » sur laquelle il puisse s’appuyer : le Pape François, seul capable (selon lui) de se poser en médiateur et de permettre à toutes les parties en cause de se tirer de l’épineuse affaire, la tête haute.
Qui est derrière Sisci ? Que recouvre sa suggestion ? Nul ne le sait pour sûr. Cet ancien journaliste italien est titulaire d’une chaire à l’université Tsinghua – ce qui peut supposer de bons termes avec le pouvoir socialiste. Il a aussi été reçu cette année en audience privée par le Saint-Père, dans le cadre d’une interview. Le lendemain de son article du 29 août, il en publiait un second citant le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’Etat du Saint Siège, pour rappeler la vieille demande du Pape, toujours valide, d’une mission pontificale dans l’Empire Céleste.
En réponse, le même jour, depuis Pékin, la porte-parole du régime Hua Chunying, rappelait le « désir de rencontre à mi-chemin (avec le Vatican) pour poursuivre le développement des relations bilatérales ».
Dernière considération : un point focal de la crise en mer de Chine du Sud semble être Scarborough Shoal, l’atoll évoqué plus haut, de facto occupé par l’APL depuis 2012. Une rumeur récente prêtait à la Chine le projet de développer l’îlot entre la fin du G20 (4-5 septembre) et le 8 novembre, date du scrutin présidentiel américain – une période de passation de pouvoir où le processus exécutif américain pourrait être paralysé par crainte de répercutions sur l’opinion intérieure.
Mais voilà qu’à Manille, le gouvernement évoque soudainement un accord de partage des eaux à Scarborough, et une possible visite du Président Duterte à Pékin « avant décembre ». On entre donc dans une période cruciale. Pour Pékin, c’est l’heure d’un choix, et pour cette crise, une fragile lueur d’espoir.
Sommaire N° 27 (2016)