« Historique ». C’est en ces termes que le président américain a qualifié le sommet qui a réuni le 18 août les dirigeants politiques de la Corée du Sud et du Japon à Camp David. Si la rencontre entre Joe Biden, Yoon Suk-Yeol et Fumio Kishida est à marquer d’une pierre blanche, c’est parce qu’elle ne constitue pas simplement une réunion de travail, mais qu’elle institutionnalise un rapprochement entre les trois pays aux intérêts géopolitiques convergents à travers la mise en place d’une série de plateformes trilatérales allant de la cyberdéfense aux droits de l’Homme, en passant par la finance… Une rencontre annuelle est également prévue entre les trois dirigeants et leurs ministres de la Défense, des Affaires étrangères, de l’Industrie et du commerce.
En choisissant Camp David, lieu de repos et villégiature des présidents des Etats-Unis depuis Roosevelt, l’administration Biden a misé sur la symbolique puisque le site fut le théâtre d’événements géopolitiques majeurs dont les plus connus sont les accords de Camp David 1 et 2 : les premiers en 1979 pour le traité de paix israélo-égyptien entre el-Sadate et Begin sous l’égide de Jimmy Carter ; les seconds en 2000 pour la résolution du conflit palestinien entre Arafat et Ehud Barak sous l’égide de Bill Clinton. La symbolique vient du fait que le lieu serve de médiation à des conflits qui s’inscrivent dans une longue durée et relèvent de contextes historico-culturels complexes.
En effet, le différend historique entre le Japon et la Corée du Sud remonte à la seconde guerre mondiale. Il se cristallise dans l’établissement entre 1938 et 1945 de maisons closes dans les pays occupés par l’armée impériale japonaise (Corée du Sud, Philippines, Chine, Birmanie) où servirent environ 200 000 coréennes. Le 28 décembre 2015, un accord historique fut trouvé entre les deux pays alors présidés par Shinzō Abe et Park Geun-hye : le Japon versa un milliard de yens (7,5 millions d’euros) de dédommagements à une fondation afin d’aider les rares « femmes de réconfort » sud-coréennes toujours en vie, tandis que Abe exprima aux victimes ses « excuses et son repentir, du plus profond de son cœur ». Pourtant, le 28 décembre 2017, à la grande satisfaction de Pékin, le président coréen Moon Jae-in brisa unilatéralement l’accord, affirmant « qu’il ne réglait pas le problème ».
Au même moment, la présidence Trump se détourna des tentatives de rapprochement trilatéral pour entreprendre de « courtiser » directement le président nord-coréen, Kim Jong-un : rencontre à Singapour en juillet 2018, à Hanoï en février 2019, puis en Corée du Nord en juin 2019. Las, la reprise des essais de missiles balistiques continentaux et des constructions sur les sites d’armement nucléaire semblent démontrer que la double tentative d’apaisement de Trump et de Moon (rencontre avec Kim en septembre 2018 à Pyongyang) n’a pas eu les résultats escomptés…
Pour éviter que les relations trilatérales soient à nouveau sujettes à des revirements diplomatiques pour des raisons électoralistes, les trois dirigeants ont donc décidé d’institutionaliser leur entente permise par la continuité entre l’administration Abe et l’administration Kishida d’un côté, et de l’autre par la rupture apportée par les élections de Biden en 2020 et de Yoon en 2022.
Dans tout cela, on notera que le « fact sheet » de la Maison Blanche ne mentionne pas une seule fois la Chine. Il serait donc erroné de réduire le sommet à une sorte d’entente cordiale contre la Chine qui serait encerclée géopolitiquement. Bien entendu, cette dimension n’est pas absente, comme le montre la déclaration conjointe des trois dirigeants où la Chine est nommée une fois directement, en lien avec les tensions en mer de Chine du Sud. Les trois partenaires y dénoncent le « comportement dangereux et agressif » de la Chine, ses « revendications maritimes illégales » en mer de Chine méridionale, et déclarent s’opposer fermement « à toute tentative unilatérale de modifier le statu quo dans les eaux de l’Indo-Pacifique » et « à la militarisation des îlots occupés, à l’utilisation dangereuse des navires des garde-côtes et des milices maritimes et aux activités coercitives ». Le fait est que si ce sommet a été rendu possible, c’est dû autant à l’intransigeance de la Corée du Nord qu’aux actions de coercition ou d’intimidation entreprises par la Chine.
Enfin, si le sommet est « historique » et s’il convient de le saluer, ce n’est donc pas par tropisme américain ou par satisfaction de voir la Chine « encerclée », c’est parce que toute rencontre qui permet de surmonter le ressentiment historique et de voir d’anciens ennemis se rapprocher est à encourager. A l’inverse, toute politique qui vise à entretenir le ressentiment pour des faits arrivés il y aura bientôt un siècle, semble contraire à la paix mondiale et à la prospérité humaine.
1 Commentaire
severy
29 août 2023 à 02:27Excellent article.