À 57 ans, Wang Jian, co-fondateur du groupe HNA, décédait en Provence le 4 juillet d’une chute probablement accidentelle, en marge d’un voyage d’affaires—HNA étant actionnaire d’Aigle-Azur le transporteur low-cost, et de Pierre et Vacances, le leader des résidences de loisirs. Ce décès frappe un HNA déjà en crise : comme l’assureur Anbang, le bâtisseur Wanda et d’autres consortia privés, il doit réduire d’urgence sa dette (90 milliards de $), suite sa mise au ban du crédit par un gouvernement chinois soucieux de maintenir la préséance du secteur public.
Wang Jian, chevalier d’industrie, ne s’est pas suicidé, mais d’autres l’ont fait – le plus souvent dans l’administration. C’était le cas en mars de Li Jinge, directeur d’un hôpital militaire à Xi’an, en mai Yin Jinbao, président d’une banque à Tianjin. En 2013, un rapport interne de la CCID, police du Parti, estimait à plus de 1000 le nombre des hauts cadres s’étant donné la mort, à 6000 les « portés-disparus », à 8000 ceux s’étant sauvés à l’étranger – dont la moitié étaient rapatriés de force 5 ans plus tard. Tous ces actes révèlent un stress des décideurs, sous le feu des campagnes « anti-corruption », « loyauté des cadres », « anti-fuite des capitaux ».
La tension est exacerbée par le défi lancé par le Président Trump à l’Empire du Milieu. Les plans chinois d’avenir s’en trouvent altérés, tel le concept planétaire BRI (Belt & Road Initiative). De janvier à mai, la Chine ne signait que pour 36,2 milliards de contrats extérieurs, 6% de moins que 12 mois plus tôt. Les temps sont incertains : Pékin est paralysé, devant s’assurer que ses projets feront sens, pour ses firmes et les pays partenaires.
La tension n’est pas cantonnée aux sphères décisionnelles, mais aussi dans la rue : les vétérans sortent dénoncer leurs retraites de misère, les jeunes manifestent à Hong Kong pour leur liberté, les grutiers débraient en mai, les camionneurs en juin… Tous expriment une certaine peur de l’avenir.
Dans l’ombre, la fuite des capitaux reprend, forçant l’Etat à réagir. Le 3 juillet, sur ordre central, les grandes banques « swappent » des masses de yuans du marché intérieur pour les revendre en dollars au marché spot et stopper l’érosion du RMB à 6,7204 – le plus bas taux depuis août 2017. C’est bien sûr le spectre des sanctions américaines qui hante, depuis leur entrée en vigueur le 6 juillet. Les media doivent appeler les agioteurs au calme, contre toute « surréaction irrationnelle » !
Que peut faire Pékin pour contrer ces taxes américaines, et leur surenchère qui ne laissera aucun bord indemne ? La Chine, pour l’instant, tente de jouer la bonne élève du libéralisme multilatéral. Elle promet de protéger sur son sol comme elle pourra les groupes étrangers des sanctions américaines. Elle divise par deux la liste des secteurs fermés aux étrangers en zones de libre-échange : les domaines agricoles, miniers, culturels et services télécoms à valeur ajoutée leur sont désormais ouverts. Elle éradique ou allège des milliers de positions tarifaires – Zhong Shan, ministre du Commerce promettait (2 juillet) d’« élargir substantiellement » l’accès du capital étranger au marché. Elle autorise désormais la propriété étrangère complète des stations-services, au profit de groupes tel BP qui en gère déjà 740 et veut en bâtir 1000 autres. Dans le secteur bancaire, toute restriction disparaitra en 2021. …
Tout cela est peu de chose par rapport aux deux questions d’avenir :
– une fois les salves réciproques de rétorsions et contre-rétorsions émises, Chine et USA vont-ils trouver un compromis ? La Chine le croit encore.
– et l’Union Européenne peut-elle relayer les Etats-Unis comme partenaire privilégié ? C’est pour l’instant incertain, faute d’unité européenne, et de vision politique de part et d’autre. Mais à l’évidence, l’occasion est là, chance unique, à prendre.
Sommaire N° 26-27 (2018)