Quels sont les fruits de vingt ans de prospérité et de croissance chinoise, sous l’angle de l’accès de la femme au marché du travail ?
Ce genre de données, souvent difficiles à obtenir, ont été compilées par Zhao Yaohui et Dong Xiaoyuan, chercheurs aux universités de Beida (Pékin) et de Winnipeg (Canada), en une étude intitulée « économie familiale des soins non rémunérés, progrès économique des femmes et croissance inclusive en Chine ». Le constat est inquiétant : contre toute attente, le progrès social en Chine se traduit pour le beau sexe par un recul de l’accès aux emplois rémunérés et des perspectives de carrière réduites. La tendance est attestée par la Banque mondiale : alors qu’en 1990, 73,5% des femmes chinoises de plus de 15 ans étaient entrées dans la population active, le nombre a régressé à 63,3% en 2016, 26 ans plus tard. Les raisons du recul sont complexes, mais la principale tient à l’esprit traditionnaliste des maris, qui voient dans le travail à la maison le devoir de leurs compagnes.
Aussi, selon l’étude, le rôle des genres s’est renforcé en un quart de siècle : en moyenne hebdomadaire, la femme chinoise preste à la maison 21 heures de travail impayé contre 10 heures seulement aux hommes. Cette charge de travail augmente considérablement pour celles qui ont opté, depuis début 2016, pour un second enfant.
Li Bianjiang, 32 ans, mère de deux petits (un cas cité par la revue Sixth Tone) estime passer au moins 5 heures par jour aux obligations familiales, avec un soutien minimal de son époux. Son emploi du temps immuable se divise en trois sections : l’entretien ménager (nettoyage, lavage du linge, courses, cuisine, vaisselle), l’éducation des enfants (repas, habillement, devoirs, dialogue et relation « affective »), et son travail (aux horaires incompressibles). Ainsi, il ne lui reste qu’un temps bref pour le repos, les loisirs et la culture de soi.
Ainsi, les auteurs constatent que cette mère de deux enfants est désavantagée dans son entreprise, par rapport à ses collègues masculins ou aux femmes plus âgées. Elle ne peut accepter de travail supplémentaire, ni faire de recherches, rédiger des rapports à la maison, ni encore participer à des voyages d’affaires. Ses chances d’avancement sont donc moindres. Davantage à l’avenir, les jeunes mères devront choisir entre leur carrière et leur famille.
L’équipe de chercheurs sino-canadiens va plus loin dans le questionnement de cette évolution des rouages sociaux. D’ici 2022, les femmes verront reculer de deux mois chaque année leur retraite, aujourd’hui à 55 ans, contre 60 pour les hommes. À terme, elles se retireront à 60 ans – les hommes eux, passeront à 65 ans. Vu sous un certain angle, ce ne sera que justice pour ces employées dont les retraites sont amputées, par rapport aux hommes, des cinq années les plus productives de leurs carrières. L’arrangement actuel ne leur laisse comme perspective une retraite d’un tiers inférieure à celle du collègue masculin, à niveau égal de responsabilités. Mais sous l’autre perspective, ces « jeunes » grands-mères au travail prolongé, devront attendre 5 ans de plus avant de donner un coup de main essentiel à leurs enfants, dans l’éducation de leurs petits-enfants. Loin d’être anodine, cette mutation de l’organisation du travail et de la retraite, aura de lourdes répercussions sociales.
Du point de vue de la natalité, la jeune mère, sans soutien financier, ni appui du mari, ni aide de la grand-mère, et souvent sans crèche, comprendra qu’un projet de seconde naissance, l’éliminera purement et simplement du marché du travail et pire, sacrifiera toute vie sociale hors de la famille, et tout loisir. Face à telles perspectives, pourquoi faire un deuxième enfant ?
Conclusion : pour le duo de chercheurs, l’assouplissement des règles du planning familial et le recul de l’âge du passage à la retraite, vont se traduire par une exacerbation de l’inégalité des genres.
L’Etat va donc devoir réviser rapidement sa copie, s’il souhaite relancer la natalité et combattre le vieillissement rapide de la société—fin 2015, plus de 16% de la population avait franchi les 60 ans, et 10% les 65 ans.
Parmi les solutions explorées par les auteurs de l’étude, l’une consiste à systématiser le congé paternel payé, de manière à rendre le père disponible pour prendre le relais dès l’arrivée du cadet. Une autre piste, complémentaire, serait de rendre plus flexibles les horaires de travail, pour améliorer l’organisation du foyer et le partage des tâches. Enfin, la construction de crèches et l’introduction d’allocations familiales sont d’autres hypothèses. Cette dernière apparaît néanmoins extrêmement peu probable, à cette heure, de la part d’un régime animé par d’autres priorités—la modernisation de son armée, le développement de ses routes de la soie à l’étranger, ou encore la conquête de l’espace.
En cas d’échec, le pays pourrait se retrouver avec des projections de natalité en panne, et des plans de gouvernance démographiques à reprendre à zéro.
Sommaire N° 26-27 (2017) Spécial Yunnan