Santé : A Pékin, le virus est dans les murs

Toutes les mesures de prévention pour protéger la capitale chinoise n’auront pas suffi à l’immuniser : après 55 jours sans aucun nouveau cas de Covid-19, la ville de Pékin était de nouveau infectée par le virus le 11 juin. En dix jours, le bilan est grimpé rapidement, avec 250 cas confirmés au 23 juin. Plusieurs autres malades en lien avec le cluster pékinois ont été identifiés dans les provinces voisines comme le Hebei et le Liaoning, mais aussi jusqu’au Sichuan ou au Zhejiang à plus de 1 000 km de là. 

Pour la capitale, le réveil est brutal, elle n’avait souffert officiellement que de 584 cas depuis janvier… Le nombre peut paraître dérisoire, comparé à la situation au Brésil ou en Inde, mais cette résurgence du virus a pris les autorités chinoises par surprise, elles qui pratiquent la tolérance zéro.

Ce rebond est un affront insupportable pour le Président Xi Jinping, alors que la Chine a déclaré victoire contre le virus et vanté l’efficacité de sa méthode à travers le monde entier. Le leader avait pourtant prévenu : le siège du pouvoir du Parti communiste devait être une “forteresse” contre la pandémie. Cai Qi, secrétaire du Parti de Pékin et homme de confiance du Président, a donc reçu pour mission d’éradiquer le mal au plus vite. En déplacement au marché de Xinfadi, à l’origine du foyer d’infection, Cai a admonesté les cadres de contenir la propagation du virus tout en assurant la continuité de l’approvisionnement alimentaire de la capitale. Trois responsables désignés (deux cadres du district de Fengtai et le directeur du marché incriminé) ont payé le prix de leur négligence et ont été limogés. Leur punition a été publiée sans délai et en détail par la Commission centrale d’Inspection de la Discipline (CCID) en guise d’avertissement.

Avant même ce rebond épidémique, Pékin faisait déjà l’objet d’une attention particulière. Surprotégée, elle est la seule ville du pays où les vols internationaux ne sont pas autorisés à atterrir directement. Ils doivent d’abord se poser dans l’un des 15 points d’entrée (Tianjin, Hohhot, Hangzhou…) pour procéder aux contrôles sanitaires des passagers et des équipages… Des mesures rédhibitoires pour les compagnies aériennes étrangères qui lui ont toutes préféré Shanghai, aux protocoles bien moins stricts. Pékin avait également ouvert ses portes sur le tard aux voyageurs venus d’autres provinces et de manière opportuniste, juste avant les congés du 1er mai. De plus, un certain niveau d’alerte avait été maintenu en ville une semaine après la fin de la session du Parlement (le 28 mai).

Les 21 millions de Pékinois ont donc eu à peine le temps de souffler avant de voir leur ville repasser en semi-confinement. Pourtant, ce n’est plus la panique qui domine comme lors du mois de janvier, mais l’agacement, la lassitude, la crainte de ne jamais voir le bout du tunnel… Pour les commerçants, ce rétropédalage pourrait réduire à néant tous leurs efforts de reprise de l’activité. La fermeture de tous les établissements scolaires, après seulement quelques journées de cours, a été un coup de massue pour parents et élèves. Comme l’étaient les habitants du Hubei jusqu’à hier, les Pékinois sont désormais « persona non grata » dans près de 30 villes chinoises. En sus, l’interdiction de quitter la ville sans test nucléique de moins de sept jours alimente une désagréable sensation de claustrophobie chez certains. Sans surprise, les réservations de séjours sont en berne pour la fête des bateaux-dragons (25 au 27 juin).

En attendant, la contre-attaque s’organise. Grâce aux données d’itinérance des téléphones portables et au maillage de la ville entière en différentes petites zones gérées par les comités de quartier, plus de 356 000 personnes en lien avec le marché de Xinfadi ont été retrouvées en cinq jours et dépistées dans la foulée. Au total, 2,29 millions de Pékinois ont été dépistés entre le 11 et le 20 juin. Parmi eux, les restaurateurs et leurs employés, le personnel médical , et les livreurs. Les professeurs et élèves qui avaient déjà repris les cours devront également se faire tester, avec priorité donnée aux 3èmes et terminales puisque les élèves doivent bientôt passer leurs examens (7 et 8 juillet).

Résultat, les 98 centres de dépistage de la ville sont pris d’assaut : les files d’attente autour de certains points de tests temporaires sont interminables, favorisant les contaminations croisées… Les réservations dans certains hôpitaux s’étirent même jusqu’en septembre ! Toutes les 24h, la capitale peut collecter 400 000 échantillons et réaliser 90 000 tests : un écart pouvant conduire à des retards dans la communication des résultats, la plupart des laboratoires étant incapables de les rendre en 24h. 

À l’hôpital Ditan, spécialisé dans les maladies infectieuses et situé tout près du Lycée français de Pékin (LFIP), les renforts sont déjà arrivés des autres établissements de la ville. Ditan disposerait « d’au moins trois cents lits » pour soigner les malades du Covid-19. La remise en service de l’hôpital de Xiaotangshan, construit pendant le SRAS en 2003 et rénové en début d’année, n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour.

Finalement, le déroulement des évènements, quoiqu’en accéléré, laisse une inquiétante sensation de déjà-vu : un marché alimentaire, une situation « sous contrôle », mais « très sérieuse », une large campagne de dépistage, une coopération avec l’OMS pour partager la séquence génomique du virus, une origine prétendument étrangère (non pas des militaires américains, mais des produits importés), des contaminations qui pourraient remonter au début du mois de mai

Pourtant, les experts ne sont pas alarmistes : « le pic de contamination (13 juin) est déjà passé. Même s’il faut s’attendre à ce que d’autres cas soient détectés dans les jours à venir, ce ne sont pas de nouvelles contaminations », rassurait le 18 juin Wu Zunyou, épidémiologiste en chef du CDC. « Toutefois, pas question de relâcher la vigilance maintenant », précisait-il le lendemain. Zeng Guang, directeur scientifique au CDC, tempérait ces déclarations : « il ne suffit pas de contrôler le foyer d’infection, il faut réfléchir aux conditions qui ont permis au virus de resurgir. Pour résoudre ce problème, il faudra rénover le marché de Xinfadi et les autres marchés de ce type ailleurs dans le pays ».

En tout cas, à l’inverse de Wuhan qui ne s’attendait pas à voir surgir un virus inconnu et a attendu 23 jours après le premier cas officiel avant de prendre des mesures, les autorités pékinoises étaient sur le qui-vive et ont réagi rapidement. C’est pourquoi les experts pékinois n’ont pas jugé nécessaire d’imposer une quarantaine draconienne, optant pour un confinement partiel plus ciblé. Est-ce donc cela le fameux  « nouveau normal » dont parlait l’expert de Shanghai Zhang Wenhong ? Ce qui est certain est que les autres villes chinoises, si ce n’est le monde entier, observent avec attention la manière dont Pékin, ville réputée imprenable et parmi les mieux équipées du pays, gère cette crise. Car ce rebond ne sera sans doute pas le dernier

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