Monde de l'entreprise : Carrefour jette l’éponge

Carrefour jette l’éponge

L’aventure de Carrefour en Chine s’achève, 25 ans après ses débuts en 1995. Le 23 juin, le groupe hexagonal cédait 80% de son réseau chinois à Suning, n°1 national du commerce de détail en électroménager. Quoique Suning soit, comme Carrefour, une chaine de magasins de vente au détail, il ne faut pas se tromper sur le sens de son rachat de Carrefour-Chine : il annonce bel et bien le glas de ce modèle commercial en Chine. En effet, Alibaba, actionnaire à 20% de Suning, est n°1 mondial du e-commerce, titulaire de 600 millions de clients réguliers.

C’est d’ailleurs bien l’internet qui a nui à Carrefour, un outil commercial auquel George Plassat, son précédent PDG jusqu’en juillet 2017, a longtemps refusé de croire.

C’était ignorer la priorité que l’Etat chinois s’était donnée dès les années 2000, de déployer le réseau internet sur l’ensemble du territoire, du plus petit village à la plus grosse métropole. Longtemps avant l’Occident, le régime avait deviné l’atout pour le pays d’une « toile » chinoise, comme puissant outil de développement et de contrôle des masses.

Au bout de peu d’années, s’étant enrichi d’un nombre exponentiel de services via ses réseaux sociaux, ce réseau internet allait attirer une frange de jeunes salariés bien payés, prêts à faire basculer leurs achats en magasins vers les boutiques virtuelles. En effet, leurs emplettes se feraient désormais pendant les heures de travail, sur écran ou sur smartphone, et non plus durant les week-ends.

Bientôt Alibaba lançait ses magasins Hema (suivi de son concurrent 7-Fresh pour Tencent) : une formule « phygitale » de vente et restauration moyenne gamme avec priorité aux produits de qualité, où l’on pourrait indifféremment acheter sur place ou commander en ligne, pour livraison gratuite en une demi-heure !

En face, Carrefour était resté à une approche traditionnelle, pariant sur un panier de la ménagère locale et avec une offre de livraison et sur internet non concurrentielle. Ce faisant, il ratait la clientèle « bobo ».

Il n’était pas le seul : Auchan, Wal-Mart, Metro restaient sur la même lancée, et déclinaient. Le britannique Tesco, dès 2013, jeta l’éponge. Et ce n’est qu’en 2018 que Carrefour ouvrit dans les métropoles ses premiers magasins « Le Marché » calqués sur le modèle de Hema.

Carrefour avait connu d’autres difficultés les premières années, dues au souci étatique de protéger ses propres chaînes commerciales qui démarraient alors et avaient besoin de temps pour « recopier » les gadgets technologiques de la concurrence occidentale, et le savoir-faire en matière de chaîne du froid, publicité, promotion, merchandising. À l’ouverture du premier Carrefour en Chine, à Pékin, le partenaire municipal, arguant d’une faille juridique, lui faisait interdire de fonctionner sous sa marque et son logo : il devait vendre sans enseigne, et laisser les clients emporter leurs emplettes dans des sacs blancs anonymes.

Un autre souci chez les groupes étrangers tenait à la localisation du management, rapatriant les cadres français. Cette pratique intégrait davantage le groupe à la Chine, mais cela se faisait aux dépends de la visibilité de la direction sur sa gestion. En 2007, la police shanghaienne frappait une centrale d’achats de Carrefour, arrêtant 22 acheteurs et fournisseurs accusés d’infiltration par la mafia locale. Carrefour devait rectifier en catastrophe son organisation locale.

Puis en 2008, suite au passage mouvementé de la flamme olympique à Paris, Carrefour-Chine fut la cible d’une campagne de boycott. Le groupe avait intelligemment réagi en habillant en temps record ses caissières en tenues patriotiques écarlates.

Toutes ces péripéties, et surtout l’incapacité à surfer à temps sur la vague de l’internet, ont pesé. Un plan drastique de restructuration a réussi à dégager en 2018 chez Carrefour-Chine un « profit » de 32 millions d’euros, très modeste face aux ventes de 4,1 milliards d’euros et surtout, face à des ventes en baisse de 5,9% par rapport à 2017. Lourdement endetté, voyant fondre sa clientèle, Carrefour a dû céder ses 210 hypermarchés et 24 magasins de proximité. Vu ses résultats médiocres de l’an passé, il le fait dans d’assez mauvaises conditions : par rapport à une valeur auditée de 1,4 milliard d’euros, il ne recevra que 620 millions d’euros.

Conservant 20% de ses parts, Carrefour se ménage toutefois une fenêtre d’observation de la grande distribution en Chine. Pour Alibaba, la reprise va renforcer sa domination sur le secteur, physique comme virtuel : en 2018, il prenait 36% des parts du groupe Sun Art Retail, contrôlant ainsi les 484 surfaces du groupe, sous les enseignes RuanTex et Auchan !

Apprenant vite de ses erreurs, Carrefour s’apprête à redémarrer cette fois entièrement en ligne, à travers le réseau de JD.com, l’outsider de la vente chinoise en ligne, sous l’aile de Tencent, qui distribuera pour commencer 300 produits importés d’hygiène et de beauté sous le label Carrefour. En effet, nombre de produits importés et conditionnés sous sa ligne sont compétitifs et populaires en Chine, appréciés de la jeune génération.

Mais sur le fond, « les carottes sont cuites ». Le retrait de Carrefour, et les difficultés de Wal-Mart et de Metro (qui chercherait repreneur) sont là pour dire que le modèle des hypermarchés a fait son temps en Chine, relayé par d’autres modèles locaux ; pour dire également qu’en matière d’innovation commerciale, la Chine a rattrapé voire dépassé les Européens et Américains.

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1 Commentaire
  1. severy

    Pas facile de faire une évaluation. On a beau taper sur la 5e étoile, le résultat n’affiche que 2,5.
    Frustrant.
    Bon article. On aurait pu titrer: Feu rouge pour Carrefour.

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