
Au cours de l’été, des articles alarmistes, annonçant « l’implosion » du secteur bancaire chinois, se sont multipliés. A l’origine, l’annonce début juillet de la « disparition » de 40 banques rurales en une seule semaine, dont 36 dans la seule province du Liaoning. Trois semaines plus tard, c’était au tour du Henan d’annoncer un plan de consolidation pour 25 banques locales…
A en croire certains commentateurs, nous serions en train d’assister à « une crise silencieuse » du système bancaire chinois, voire aux prémices de la prochaine grande crise financière mondiale. Face à cela, Pékin serait en train de « paniquer » et tenterait de faire « disparaître » le problème en fusionnant les banques entre elles ou en faisant absorber celles qui sont le plus mal en point par d’autres en meilleure santé.
Si cette série de fermetures peut paraître spectaculaire, c’est loin d’être la première fois que des banques locales baissent le rideau.
Un bref rappel de la structuration du marché bancaire s’impose. Il y a d’un côté 25 grandes banques qui représentent à elles seules plus de 75% du marché. Parmi elles, la Bank of China, Agricultural Bank, ICBC, Communication Bank ou encore la Bank of Beijing… Elles font presque toutes partie de la liste des banques « systémiquement importantes » aux yeux du gouvernement chinois. Un « honneur » qui va de pair avec une supervision accrue de l’Etat pour éviter que l’éventuelle faillite de l’une d’entre elles fasse vaciller le système.
De l’autre, environ 3 800 « petites » banques rurales et commerciales, détenant ensemble un peu plus de 25 % des actifs du système bancaire chinois (soit 55 000 milliards de yuans). Malgré le fait qu’elles soient particulièrement exposées aux pressions politiques locales (petits arrangements avec le maire du coin…), ces dernières ont globalement bien rempli leur mission, à savoir prêter aux ménages, aux agriculteurs, aux commerçants, aux TPE… jusqu’à un certain point.
En effet, plusieurs facteurs sont venus leur compliquer la tâche ces dernières années. Il y a d’abord eu la libéralisation des taux voulue par l’Etat chinois afin que les banques prêtent davantage aux PME et pas uniquement aux grandes sociétés d’Etat. Une décision qui a fortement pénalisé les petites banques face à la concurrence des grands établissements bancaires.
Il y a ensuite eu le phénomène de digitalisation du secteur bancaire, qui a fragilisé les petites banques, incapables de réaliser les investissements nécessaires à cette transition.
Le coup de grâce a sans doute été le ralentissement de l’économie chinoise, accentué par la perte de vitesse de plusieurs secteurs industriels « traditionnels », le Covid-19 et la crise immobilière.
Conscients de leurs difficultés mais aussi du risque que représentent leurs créances douteuses (jusqu’à 40% de leurs prêts, de l’aveux de certaines d’entre elles), le régulateur financier (NFRA) se met aujourd’hui à orchestrer leur sauvetage, avec l’aide des provinces. Et le rythme s’accélère : les six premiers mois de l’année, le nombre d’établissements bancaires chinois fusionnés ou absorbés était quatre fois supérieur à l’ensemble de l’année 2023, selon le média Yicai.
En parallèle, les gouvernements locaux sont chargés de recapitaliser ces banques en difficulté via des « obligations spéciales ». Mais là encore, cela dépend des provinces et de l’état de leurs finances, négativement affectées par la chute des ventes des promoteurs immobiliers.
Cette méthode est loin de faire l’unanimité. Les critiques affirment que fusionner des dizaines de « mauvaises » banques ensemble, ne fait que créer une grande banque encore plus « douteuse ». Les partisans de cette stratégie, eux, sont convaincus que gagner en taille va au contraire leur permettre de mieux faire face aux risques, tout en permettant un meilleur contrôle de l’Etat.
On le voit, il n’y a pas de solution miracle aux maux des milliers des petites banques rurales et commerciales. D’un côté, une intervention trop directe de l’Etat pourrait créer un mouvement de panique au sein de la population. De l’autre, il n’est pas question pour le gouvernement chinois de laisser ces petites banques déposer le bilan, comme cela aurait été le cas dans de nombreux autres pays, stabilité sociale oblige.
Pékin se souvient encore en juillet 2022 des manifestations à Zhengzhou (Henan) de milliers d’épargnants inquiets du gel de leurs économies (cf photo). Pour rappel, en Chine, les dépôts sont garantis jusqu’à 500 000 yuans (environ 65 000 euros). En France, à titre de comparaison, le plafond est fixé à 100 000 euros.
Néanmoins, ce phénomène de concentration du marché bancaire n’est pas surprenant et a déjà été observé dans de nombreux pays développés. Certains sont d’ailleurs convaincus que cet effort d’assainissement entrepris par Pékin était inéluctable. Il aurait toutefois été plus judicieux d’intervenir avant que les petites banques ne se retrouvent au bord du gouffre…
Sommaire N° 25-26 (2024)