Editorial : Un été « électrique »

Un été « électrique »

Devant les petites manufactures de Canton, un nouvel équipement bruyant a fait son apparition : le groupe électrogène. La raison de sa soudaine popularité ? Un déficit en électricité dans la province du Guangdong, estimé entre 8 et 11 GW au mois de mai.

Même si ses 115 millions d’habitants ne sont pas affectés, une vingtaine de villes (Canton, Foshan, Dongguan, Shantou, Zhongshan, Zhuhai, Huizhou…) ont ordonné début mai à leurs usines de travailler la nuit ou pendant les heures creuses, voire de fermer pendant 1, 2 ou 3 jours par semaine. Des mesures qui rappellent celles décrétées en 2004, année durant laquelle près de 24 provinces ont subi d’importantes coupures électriques.

Alors que le pic de la consommation est attendu au cœur de l’été (en juillet, août), ces restrictions pourraient bien se prolonger au moins durant les trois prochains mois, ce qui alimente les craintes des producteurs de ne pas pouvoir honorer leurs commandes à temps.

La province accueille notamment le champion des télécoms Huawei, le leader des produits chimiques BASF, le fabricant de véhicules électriques BYD, le producteur d’électroménagers Midea, le groupe pharmaceutique Pfizer, ou encore le géant de la tech Tencent.

Début juin, la Chambre de Commerce européenne en Chine du Sud, a déclaré que près de 100 de ses membres sur 250 ont été concernés par ce rationnement électrique.

Ces soucis énergétiques, ainsi que les restrictions liées au variant Delta qui a pris ses aises dans le Guangdong, pourraient bien freiner la reprise économique de la province et ralentir le rythme de ses exportations, qui représentent un quart des envois du pays.

Mais quelles sont les causes de cette pénurie d’électricité ? Après le grand froid de l’hiver dernier, c’est au tour des chaleurs d’été et de la climatisation de faire exploser les compteurs électriques, avec des températures en moyenne 2,2°C plus élevées qu’en 2020.

Autre aspect : la baisse simultanée de la production domestique de charbon et les restrictions aux importations (d’Australie notamment), ont provoqué une envolée des prix les deux derniers mois (à près de 1000 yuans la tonne – un record). Cette inflation force les centrales thermiques à fonctionner à perte puisqu’elles ne sont pas autorisées à répercuter cette hausse sur le consommateur final.

En parallèle, plusieurs mines de charbon situées dans le nord du pays ont été fermées pour des raisons de sécurité (un coup de grisou mortel pourrait venir gâcher le centenaire du Parti), mais surtout environnementales. En effet, les objectifs de réduction de l’intensité énergétique du pays poussent les provinces à limiter leur consommation de charbon. C’est le cas du Guangdong qui a déjà réduit sa capacité installée de centrales à charbon de 3,8% en 2019.

C’est donc l’hydroélectrique qui a pris le relais au Guangdong, et notamment les barrages du Yunnan. Seulement, la météo a encore fait des siennes, et la faible pluviométrie a réduit la production hydroélectrique. Résultat : les transferts d’électricité du Yunnan vers le Guangdong ont diminué de 21% depuis le début de l’année.

Le Guangdong n’est pas la seule province à être en manque d’électricité. Les provinces voisines du Guangxi et du Yunnan, mais aussi le Zhejiang, le Jiangsu, le Shandong, le Shanxi seraient également dans une situation similaire, à des degrés moindres. L’industrialisation croissante du centre du pays contribue également à ce phénomène.

Dans ce contexte « sous tension », l’interdiction du minage de cryptomonnaies dans plusieurs provinces (Mongolie Intérieure, Sichuan, Yunnan, Xinjiang…) arrive à point nommé. Cette activité extrêmement énergivore consommait environ 1% de l’électricité du pays, et toute économie d’énergie est bonne à prendre…

Même si Meng Wei, la porte-parole de la tutelle de l’économie (NDRC), a assuré mi-juin que la situation était « presque résolue », ce nouvel épisode illustre les défis d’une Chine contrainte à trouver le « bon voltage » entre ses besoins énergétiques, ses ressources houillères, son appétit pour les énergies décarbonées, ses engagements politiques en faveur de la neutralité carbone, et les aléas liés au réchauffement climatique. Négliger un seul de ces paramètres et ce déficit en électricité pourrait devenir un problème chronique.

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1 Commentaire
  1. severy

    Très bon article. Faute d’électricité, de charbon et d’uranium, il ne restera plus à la Chine que l’énergie du désespoir.

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