Depuis fin janvier en Chine, la pandémie est venue bousculer les règles d’opérations aériennes, sanitaires, et d’immigration à une vitesse inédite.
D’abord, il y a eu la liste des nationalités malvenues, la quarantaine obligatoire pour toute arrivée en provenance de l’étranger jusqu’à trois semaines (à la maison puis à l’hôtel, parfois dans une ville tierce), puis l’interdiction d’entrer sur le territoire chinois pour les non-nationaux (sauf quelques rares hommes d’affaires dont la présence était jugée nécessaire à la reprise de l’économie chinoise). Les contraintes s’accumulent, la demande s’assèche, les avions se vident, les compagnies aériennes réduisent leurs opérations, puis les cessent à la demande des équipages. Les aéroports se transforment en parking à ciel ouvert pour des flottes entières…
Une fois la menace épidémique sous contrôle sur son territoire, la Chine envisagea la réouverture au compte-goutte de son ciel aux vols internationaux. Le 26 mars, l’administration de l’aviation civile de Chine (CAAC) publia sa fameuse règle du « 5-1 » en vigueur jusqu’à octobre prochain : 1 pays, 1 route, 1 compagnie, 1 vol, 1 semaine (et à 75% de capacité). Chaque compagnie aérienne chinoise pouvait donc se remettre à opérer une liaison vers chaque pays, tandis que seuls 28 opérateurs étrangers, qui volaient encore vers la Chine au 12 mars, se voyaient attribuer le privilège de desservir une seule destination chinoise. Pour la France, ce « 5-1 » se transformait en « 3-0 ». En effet, Air China depuis Pékin, China Eastern depuis Shanghai, et China Southern depuis Canton, étaient autorisés à atterrir à Paris une fois par semaine, tandis qu’Air France ne pouvait toujours pas voler vers la Chine. Avant l’épidémie, 80 à 100 liaisons étaient assurées chaque semaine, dont un tiers opéré par la compagnie tricolore.
En décrétant unilatéralement cette règle du « 5-1 », la CAAC enfreignait les accords de trafic négociés d’État à État sur le principe d’opportunités égales en favorisant ses compagnies nationales, et en entravant la concurrence. De ce fait, 95 compagnies aériennes étrangères restaient à la porte.
Cette situation provoqua la colère des internautes chinois. Les vols charters étaient loin d’être suffisants pour rapatrier les ressortissants chinois bloqués à l’étranger. Début avril, ils étaient encore 1,42 million hors frontières. La CAAC était donc accusée de volontairement d’entraver leur retour par crainte qu’ils réimportent le virus en Chine, et de ne se soucier que des Chinois les plus privilégiés. En effet, la pénurie des vols provoqua la flambée des prix des billets d’avion vers la Chine (jusqu’à 150 000 yuans), inabordables pour un grand nombre d’étudiants coincés à l’étranger. « Dois-je traverser l’océan Pacifique à la nage pour rentrer ? », demandait l’un d’entre eux, accussant la mère patrie de l’avoir abandonné.
Du côté des transporteurs étrangers, le mécontentement enfla. Les compagnies se plaignirent de l’incurie de l’hôte chinois à leurs directions des aviations civiles respectives, qui firent planer des rétorsions à l’encontre des compagnies chinoises. Dans un climat de rivalité exacerbée, les États-Unis menacèrent publiquement le 3 juin de priver les six compagnies chinoises de vols vers les USA. « Nous autoriserons les transporteurs chinois à opérer autant de liaisons que le gouvernement chinois accordera aux nôtres », déclarait le Département aux Transports américain.
Dès le lendemain, la CAAC publiait de nouvelles règles du jeu, venant remplacer la note de la discorde : l’inique « 5-1 » demeurait, par contre le prérequis du 12 mars tombait. Cela permettait à une poignée de compagnies aériennes comme Delta, United Airlines, Virgin, Aeroflot ou Lufthansa d’obtenir la réouverture d’une liaison vers la Chine. Pékin étant surprotégé par de nombreuses règles sanitaires, les transporteurs internationaux demandèrent en force la réouverture de leurs liaisons vers Shanghai. C’est le cas d’Air France dont la ligne Paris – Shanghai reprendra du service une fois par semaine à partir du 18 juin.
Par contre, l’assouplissement du « 5-1 » s’accompagnait d’un système de bonus-malus, reflétant la hantise chinoise d’une deuxième vague de contaminations provoquée par des cas « importés ». Si aucun passager n’est testé positif au Covid-19 durant trois semaines d’affilée, la compagnie aérienne sera récompensée par une seconde liaison hebdomadaire. En revanche, si cinq cas positifs sont détectés dans le même vol, la liaison sera suspendue pendant une semaine. Une suspension portée à un mois si dix passagers sont décelés positifs.
La quête du « zéro cas » permettant de décrocher le sésame d’un deuxième vol hebdomadaire, s’annonce ardue : lors du 1er charter négocié par la Chambre de commerce allemande de Francfort à Tianjin le 31 mai (cf photo), un ingénieur allemand testait positif à l’atterrissage alors qu’il avait déjà été dépisté avant d’embarquer. Les internautes chinois en profitaient pour dénoncer ce « double standard » de la CAAC : « pourquoi ces cadres allemands ont-ils pu obtenir un accès alors que nos étudiants sont abandonnés à l’étranger, sans aucune aide ? »
Trois jours après l’entrée en vigueur du règlement punitif de la CAAC, il s’appliquait pour la première fois lorsque 17 passagers en provenance de Dhaka (Bangladesh) testaient positif à leur arrivée à Canton le 11 juin. La route opérée par China Southern était donc suspendue pour un mois… Une deuxième liaison opérée par Sichuan Airlines du Caire (Egypte) à Chengdu était également interrompue pour une semaine après que six cas ont été découverts à bord le 27 juin.
Par ailleurs, le nouveau règlement de la CAAC stipule que les opérateurs aériens devront demander aux municipalités la permission de voler, une autre première. Elle s’accordait également un joker en se réservant le droit de déroger à ses propres règles.
À cela, le 10 juin, la CAAC ajoutait une classification des pays éligibles à la reprise des vols selon quatre critères : avoir exporté peu de cas de Covid-19 vers la Chine, présenter une importante diaspora chinoise avec un désir de rentrer au pays, mettre en œuvre des mesures strictes de prévention avant le décollage, et demander la mise en place d’une « procédure express » afin de reprendre l’activité économique.
Au final, si la CAAC a décrété des règles si strictes, rendant les compagnies aériennes (chinoises comme étrangères) responsables des éventuels voyageurs contaminés, en accordant des pouvoirs discrétionnaires à des entités non aéronautiques (les municipalités), et en foulant du pied les accords binationaux, c’est que la Chine ne veut prendre aucun risque. Et peu importe si cela fait mauvais effet auprès des Chinois bloqués à l’étranger et auprès des pays partenaires. Mais aucun doute qu’à long terme, cet épisode devrait laisser des traces dans les esprits.
Sommaire N° 25 (2020)