Pékin, Washington et les autres acteurs du bras de fer commercial en cours, semblent bien partis pour s’enfoncer dans une guerre de tranchées.
La Chine manifeste une nouvelle priorité urgente : s’auto-absoudre du reproche de patriotisme technologique. Le 26 juin, elle soulève la possibilité que ses concours scientifiques, aujourd’hui strictement réservés aux chercheurs chinois, s’ouvrent aux étrangers. Plus tôt dans l’année, elle leur ouvrait déjà la candidature à des bourses et projets scientifiques nationaux. Dédramatiser, voilà la nouvelle ligne. Prise d’humilité, Pékin ne veut plus se vanter de ses prouesses technologique nationales : Liu Yadong, rédacteur en chef du Science & Technology Daily (du ministère éponyme) déclare à présent que « la Chine se ment à elle-même, en se croyant leader mondial en ces domaines »…
La Chine veut aussi rassurer l’Union Européenne. Avec le commissaire J. Katainen (cf photo) le 25 juin, elle lance un groupe de travail pour réformer les règles de l’OMC sur les sujets qui fâchent : l’accès aux marchés respectifs et les transferts de technologies, que le plan « Made in China 2025 » force les firmes étrangères à céder en échange de leur accès au marché national. Le groupe de travail débutera à Bruxelles en juillet lors du sommet Europe-Chine. Egalement victime des règles protectionnistes de Pékin, l’UE veut négocier avec la Chine pour remettre l’OMC à flot –car pour le commissaire, l’organisation de Genève est structurellement dépassée, incapable de faire face aux mutations rapides de l’économie mondiale. « Si rien n’est fait, craint-il, l’environnement du commerce multilatéral disparaîtra ».
Il y a urgence : en son dernier rapport, la Chambre de Commerce Européenne constate que 19% de ses 532 entreprises membres s’estiment forcées par la Chine de céder leurs brevets, taux qui passe à 27% dans l’automobile, 36% dans l’aéronautique, et 100% dans les télécoms et industries de l’information.
De son côté, Trump reste le doigt sur la gâchette. Le 6 juillet, date prévue de publication de ses rétorsions contre la Chine, il s’apprête aussi à durcir une loi restreignant les investissements « étrangers » dans la technologie. En son cabinet, entre P. Navarro le faucon et St. Mnuchin la colombe, un compromis a été trouvé pour garder la porte entrouverte, mais empêcher des forces hostiles de prendre des parts dans des start-ups de secteurs tels la robotique ou l’intelligence artificielle. A Washington, des voix proches du pouvoir assurent que ces défenses ne concerneront que la Chine, et non l’Europe.
En bref, pour éviter la guerre commerciale, la seule solution pacifique qui se présente, est ce groupe de travail sino-européen. Encore faudra-t-il que la Chine y fasse de vrais compromis, ce qui est aujourd’hui illusoire : le 28 mai encore, Xi Jinping déclamait que « ce n’est qu’en gardant la main sur les technologies-clé… que nous pourrons garantir notre sécurité nationale, au plan économique comme militaire ». Et encore faudrait-il que les Etats-Unis acceptent de s’y rallier… Pour Scott Kennedy du Centre d’études stratégiques internationales de Washington, un tel pas est probablement inéluctable : « Il ne sera pas dans l’intérêt des USA de rester retranchés dans leur forteresse‘ America’, quand les autres seront en train d’inventer les règles du jeu du siècle prochain »…
En attendant, la Chine prend des mesures préparatoires, qui n’ont rien de rassurant . Fin avril, elle revendait déjà pour 5 milliards de $ de bons du trésor US. Le 25 juin, elle réduisait ses réserves obligatoires aux banques, pour leur donner latitude de prêter aux entreprises en difficulté 100 milliards de $. Et en 10 jours jusqu’au 23 juin, son yuan se dépréciait de 3,7%, à 6,6 yuans pour 1 $.
Toutes ces mesures témoignent d’une volonté chinoise de se prémunir des sanctions, de protéger ses entreprises publiques. Mais elles promettent aussi un endettement futur accru et une érosion préoccupante de l’esprit de multilatéralisme que la Chine prétend pourtant défendre. C’est préoccupant pour l’avenir.
Sommaire N° 25 (2018)