Sa mère crie haut et fort que le principal fautif, c’est cet instituteur passionné par les contes et légendes de la Chine ancienne qui a bourré le crâne de son fils avec les histoires fantastiques recensées dans Le Livre des monts et des mers. Entre Nuwa qui répare le ciel et l’archer Yi qui abat les neuf soleils, on y trouve aussi mention des ling yu ou ren yu, des sirènes dont les larmes deviennent perles.
Zhao Xin, lui, ne dit rien mais sait : le déclic est surtout venu d’une carte postale représentant un magnifique poisson jaune aux franges noires sur un fond de coraux, offert par ce Réunionnais à la fin d’une visite dans son école. Cet homme faisait partie de la délégation venue à Taiyuan suite au jumelage de la ville avec celle de Saint-Denis, signé l’année précédente.
Depuis, et ses amis peuvent en témoigner, son rêve serait d’être un poisson, aussi libre et bien dans sa peau que le jaune de la carte postale. Zhao Xin, une dizaine d’années à l’époque, a demandé à prendre des cours de natation. Dans la piscine trop chlorée, la tête sous l’eau, l’adolescent en proie à des idées noires, et qui n’avouerait à personne que son film préféré s’appelle Splash, se sent bien. En apnée, plus de questions existentielles, plus le regard chargé d’attente de la famille, plus ces doutes sur le sens de sa vie. À la limite de l’asphyxie, le calme l’envahit.
Les séances de natation rythment ses études, maintiennent sa tête hors de l’eau et sculptent un corps qui ne laissent pas les filles de Taiyuan indifférentes. Tout juste diplômé en chimie, il commence un travail de technicien dans un laboratoire quand il tombe sur une annonce WeChat : le nouvel aquarium de Taiyuan cherche des sirènes… Pourquoi pas lui ?
Voici Zhao Xin en quête d’une queue de sirène (ou de triton si l’on veut) et de conseils pour apprendre à nager avec. C’était il y a cinq ans et, si aujourd’hui les cours de « plongée à la manière des sirènes » s’arrachent, à l’époque Zhao Xin se retrouve seul dans son bassin. Qu’à cela ne tienne, des vidéos sur internet lui permettent d’apprendre la base, onduler du ventre et du dos, nager les jambes collées l’une à l’autre. La queue de sirène est plus difficile à trouver, il la compose lui-même en utilisant du tissu Lycra qui résiste à l’eau.
Après plusieurs mois d’entraînement, un certificat de plongée en poche, il passe les tests d’entrée de l’aquarium et se trouve embauché comme sirène/triton. Deux fois par jour, il s’éclipse de son laboratoire et file à l’aquarium pour un show avec des poissons dans le grand bassin de l’aquarium, pour le plus grand bonheur des petits. Les grands, eux, font la tête.
Ses collègues le trouvent ridicule et des parents se sont plaints à la direction de l’aquarium demandant que le triton sorte du show. Il en allait de la morale, quelle influence sur les enfants ? Avait-on jamais vu un homme-sirène ? Son instituteur répondrait oui, dans le Livre des monts et des mers, le Shanhaijing (山海经, Shānhǎi Jīng), source principale des mythes et légendes chinoises justement. Et les enfants répondraient oui aussi : le roi Triton, père d’Ariane la petite sirène, n’est-il pas, lui-aussi, affublé d’une queue de poisson ?
Si cette discipline connaît maintenant un immense succès, les tritons ne représentent que 30% des exécutants. Ainsi va la Chine où les petites sirènes sont de sexe féminin avec la peau bien blanche, d’où la piètre performance du film La petite sirène de Disney depuis sa sortie chinoise fin mai.
Les vidéos de Zhao Xin sur Xiaohongshu et Douyin récoltent des commentaires mitigés, mais sa persévérance commence à payer. Il est considéré aujourd’hui comme le meilleur triton de son pays et vient de gagner la première compétition nationale de tritons organisée à Wuxi.
Avec sa grande nageoire comme carapace, Zhao Xin a appris à s’endurcir. Avec l’équipe de tritons qu’il a montée et qu’il entraîne, il monte des spectacles en lien avec la culture de sa province du Shanxi, le vin, le tambour de taille et les danses du lion, convaincu que pour traverser le vaste océan, c’est-à-dire faire face aux vicissitudes de la vie (曾经沧海, céng jīngcāng hǎi), une nageoire de sirène aide, indubitablement !
Par Marie-Astrid Prache
1 Commentaire
severy
6 juillet 2023 à 00:52Qu’il fasse donc le poisson si rien ne l’arrête et tant que ses projets ne tombent pas à l’eau.