Petit Peuple : Shijiazhuang (Hebei) – Guhao, le magicien résistible

Shijiazhuang (Hebei) – Guhao, le magicien résistible

À Shijiazhuang, les gens s’ennuient. Terrassés par ce sentiment de vacuité existentielle, les jeunes s’enfuient à tire-d’aile vers Pékin à une heure de TGV : Shijiazhuang reste plongée dans son ombre provinciale. Et la censure n’arrange rien, écrémant la presse et l’internet de tout événement un peu pimenté ou coloré, au nom de la stabilité sociale. La ville reste plongée dans cette ambiance compassée, sous les slogans du Parti – le dernier en date prétend réhabiliter la révolution culturelle, l’absoudre de son qualificatif infamant de « catastrophe historique », et la relooker comme une « passionnante expérience ayant permis une riche moisson de fruits socialistes ». Pas dupes, mais plongés dans un bain de surveillance mutuelle, les habitants ânonnent et répètent ces slogans sans y croire, juste pour avoir la paix, au nom du proverbe millénaire de 指鹿为马 « zhǐ lù wéi mǎ», qui signifie « désigner le cerf en prétendant qu’il s’agit du cheval » : la vérité n’a aucune importance, seul compte le pouvoir.

Il leur reste cependant leur « cercle intérieur » pour s’occuper de ce qui compte vraiment dans la vie: leur look, leurs amours, leurs carrières et leur petite santé, ce qui est parfaitement toléré par le régime, à condition de ne pas aller trop loin. Par exemple, il est permis de s’inspirer dans sa vie, de modèles venus du bouddhisme, du taoïsme ou du confucianisme.

Et c’est ainsi que dans Shijiazhuang, dans un pavillon du palais Jingke – une des célébrités de la ville, quartier d’époque Ming chamarré d’ocre et d’or en une alternance de courées aux brûloirs à encens, de portiques « Pailou » et de bâtisses aux grands toits incurvés, maître Guhao, expert en « Zhuyoushu » qui est une branche de médecine antique, prétend guérir toutes sortes d’afflictions et disgrâces des hommes et des femmes. Il recrute ses patients par internet, à des conditions qui curieusement, pêchent par excès d’altruisme et d’outrecuidance à la fois. Pour qui veut changer de taille et gagner quelques centimètres, Guhao va le (ou la) traiter par imposition des mains et aspersion du « Qi » (souffle vital) : son action sera gratuite s’il échoue, mais en cas de succès, coûtera 15 000 yuans (près de 2.000 €) par centimètre gagné. Même tarif pour le gonflement de la poitrine des dames, avec un succès revendiqué sur la toile par une cliente qui témoigne fièrement : « je suis passé de 87cm de circonférence à 91cm à la 1ère séance, puis à 93 à la seconde ». Une autre femme présente en souriant un succès similaire, tout en précisant : « et ça continue à pousser » !

Le bon docteur Guhao n’arrête pas son traitement à l’esthétique, mais offre aussi une cure à la surcharge pondérale, aux fractures de bras ou jambe, les tumeurs de toutes sortes, et même… l’imbécillité ! Il promet de stimuler les petites cellules de matière grise, en leur donnant de l’espace pour respirer, et de l’air pour réfléchir.

Telle que présentée dans une vidéo qui fit fureur sur internet à travers Shijiazhuang, le Hebei, puis tout l’empire, maître Guhao recrute les clientes par groupes de quelques dizaines, et les rassemble, alignées sur le parvis de leurs résidences, avec distanciation sociale pour que l’énergie partant de ses bras puisse atteindre le haut de leurs thorax. Paiement naturellement réglé d’avance, et l’évaluation du succès se fait après la thérapie de groupe, au moyen d’un mètre de couturière, pour procéder aux ajustements du cachet du maître.

Remontant à l’époque Tang, l’art du « Zhuyoushu »  est cité dans les plus anciens ouvrages de médecine chinoise, mais curieusement sans leur approbation. Il proscrit en effet l’usage de tout médicament, d’acupressure et même l’acupuncture. Seul le mot du maître et son énergie vitale, dispensée par ses mains et bras moulinés en cercle, doivent faire l’affaire, par procédé magique. On est très proche d’autres disciplines plus connues comme le Qigong (aussi basé sur le souffle vital et la circulation d’énergie à travers les points méridiens), ou le Falungong, son avatar moderne né en 1992. Mais « halte », vous avez dit Falungong ? Après avoir revendiqué jusqu’à 100 millions d’adeptes suite à une croissance vertigineuse, cette secte fondée par le tambourinaire militaire Li Hongzhi fut bannie en 1999, déclarée « ennemi public n°1 » et persécutée férocement, du fait de sa théologie sulfureuse hostile aux médicaments, et à sa propension à critiquer la corruption du régime. Aussi, la pratique de maître Guhao ne pouvait qu’alarmer les autorités, surtout après le succès vertigineux de ses vidéos sur internet.

Du coup, les autres corps sociaux dont Guhao se réclamait, prennent bien vite leurs distances. Dès mars 2021 le palais Jingke se fend d’une annonce, précisant que l’homme est inconnu sur son périmètre et abuse de son nom. À l’association municipale du Taoïsme, Li Zongyuan, son président, dénonce le faux prophète : il n’est membre d’aucune paroisse taoïste de la ville,  ni même fraîchement converti. Guhao est un fraudeur, et l’association attend les résultats de l’enquête de police lancée le 18 mars suite à sa plainte. Guhao pourtant n’est pas arrêté – les policiers n’ont pas retrouvé, au palais Jingke, trace de sa présence, et tout porte à croire qu’il ait quitté la ville, le temps qu’il faudra pour se faire oublier !

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