La Chine est devenue championne du commerce mondial, présente sur les marchés des quatre coins du monde et intégrant dans ses entreprises les technologies et les usages numériques les plus avancés. Mais au fait, comment s’y prend-elle pour former ses cadres ?
Tout commence fin du XIXème siècle, sous l’influence néocoloniale : en 1898 apparaît à Pékin la première école de commerce, logée dans l’Imperial University. Elle est suivie en 1905 par son homologue à Fudan (Shanghai), puis à Tsinghua (Pékin, 1911), et Nankai (Tianjin, 1919).
Après avoir timidement accompagné la révolution, toutes ces écoles seront fermées pendant les 10 ans de la Révolution culturelle. Le nouveau départ en 1979 fait suite au mot d’ordre de Deng Xiaoping, « enrichissez-vous ! », qui favorise dans les années 80 l’éclosion de centaines d’écoles, chapeautées par les facultés de management des grandes universités.
Directement inspirés de campus nord-américains, ces instituts géants comme celui de la School of Economics and Management (SEM) de Tsinghua, sont dirigés par des conseils d’administration regroupant le Gotha des consortia chinois et des multinationales, avec des noms tels Tim Cook (Apple), Michael Dell (Dell), Elon Musk (Tesla), Satia Nadella (Microsoft), Mark Zuckerberg (Facebook)…
Le dispositif fut renforcé par des écoles indépendantes : en 1994, sur base d’un accord entre le Conseil d’Etat et la Commission Européenne, s’ouvre à Shanghai la CEIBS (China Europe International Business School), qui fera mieux que se défendre, se retrouvant sacrée en 2019 n°1 en Asie, et 5ème mondiale derrière Stanford, Harvard, l’INSEAD et Wharton.
La pénurie de managers en Chine a aussi suscité des approches originales, comme la Hupan University, initiative du PDG d’Alibaba Jack Ma et de huit autres tycoons, ouverte près de Hangzhou en 2015 (cf photo). Chaque promotion accueille 40 patrons de start-ups, et commence par trois jours de sevrage du smartphone, une marche nocturne, et l’étude obligatoire des discours compilés de Jack Ma depuis 2003.
Autre initiative, les conglomérats privés fondent leur propre école : les colleges, universities, business schools de Haier, Lenovo ou Yili forment les futurs cadres de leurs différents départements.
Jusqu’en 2010, au moment de la ruée industrielle euro-américaine vers la Chine, des partenariats entre Grandes Ecoles et universités occidentales, ont pullulé pour des cursus mixtes avec les universités chinoises. À tout seigneur, tout honneur : les jumelages associent les maisons de niveau mondial, telle la SEM de Tsinghua qui ouvre des MBA et des EMBA aux coûts d’entrée prohibitifs, avec MIT Sloan, Harvard, Stanford ou l’INSEAD. Stephen Schwarzman, PDG milliardaire américain de Blackstone, mettait 100 millions de $ sur la table en 2016 pour accueillir à Tsinghua chaque année 40 Américains, 20 Chinois et 20 étudiants du reste du monde.
Dans cette course, le fleuron des écoles de management françaises est déjà présent, ou prévoit de l’être. Bernard Sanchez, pionnier d’un rapprochement entre l’Université Dauphine et Tsinghua, distingue trois générations d’entrepreneurs :
– le self-made man sans formation supérieure (pour cause de Révolution culturelle), a réussi à la force du poignet, grâce à son travail, sa capacité d’adaptation, sa famille et ses contacts au sein du Parti ou de l’Armée. Parmi eux comptent Liu Chuanzhi, fondateur de Lenovo ou Ren Zhengfei, patron de Huawei.
– celle des années 60 et 70 qui a pu accéder aux études et aux meilleurs diplômes. Ce manager là commence à voyager, parle anglais et se veut « international », à l’instar de Robin Li créateur de Baidu, de Pony Ma PDG de Tencent, de Wang Xing, PDG de Meituan-Dianping le livreur de repas.
– la troisième génération d’entrepreneur découvre en même temps l’internet et la société des loisirs. Plus mondialisé et davantage prêt à assumer les plaisirs de la vie, il s’écarte pour de bon de la « génération perdue » de ses parents. Yin Qi, fondateur de Megvii, en est un brillant exemple.
Avec toutes ces écoles qui lui permettent de griller les étapes pour remonter son retard sur l’étranger, la Chine du management n’en comporte pas moins des failles : Jack Ma déplore le manque de managers doués de pédagogie, capables de former à l’autonomie, la créativité et l’encadrement international. Voilà un chantier qui inspire à présent de nouveaux partenariats avec les universités étrangères, francophones incluses.
Le manager chinois est déjà une femme
Les femmes s’émancipent et ouvrent toujours plus grand la porte du management chinois, confirmant ainsi la capacité de l’entreprise à transformer la société de ce pays—contrairement à l’administration et au Parti qui restent une chasse gardée masculine. Ainsi le nombre de chinoises manager de haut rang a récemment doublé, pour atteindre actuellement plus de 50% des postes. Ainsi dans le monde, la moitié des femmes milliardaires ne devant leur fortune qu’à elles-mêmes sont chinoises ; et 55% des startups technologiques chinoises ont aujourd’hui des femmes comme fondatrices. Parmi ces entrepreneures figurent Tao Huabi, inventrice des sauces pimentées Lao Gan Ma, Qian Zhiya CEO du rival de Starbucks, Luckin Coffee, Zhang Xin à la tête du groupe SOHO, et Jean Liu à l’origine de Didi Chuxing.
Sommaire N° 23 (2019)