Il y a un mois, le 11ème tour des négociations sino-américaines se terminait sur un échec, suivi sans tarder par une nouvelle salve de sanctions des Etats-Unis. Pékin alors avait promis de ne pas en rester là… Trente jours plus tard, la matérialisation des rétorsions se fait attendre : l’administration de Xi Jinping ayant déjà surtaxé la quasi-totalité des livraisons américaines, il fallait trouver autre chose.
La dernière tentative émane (31 mai) du ministère du Commerce chinois : une liste noire de personnes physiques ou morales « non fiables », parce qu’ayant abandonné leurs commandes à la Chine pour raisons non-commerciales ou causé une menace à la sécurité nationale. Sont potentiellement concernées toutes firmes telles Qualcomm, Intel ou Google, ayant obtempéré aux interdictions de Trump de travailler avec Huawei. La démarche s’apparente à une « prise d’otages » de part et d’autre. Pékin est donc resté sourd aux appels de Ren Zhengfei, fondateur de Huawei, d’éviter la loi du Talion, et de nouvelles rétorsions contre les firmes américaines. Les firmes d’Europe ou du Japon n’ ayant pas –encore– suivi Washington, seront vite confrontées à l’obligation qui fait leur hantise : celle de choisir leur camp.
Inédite en Chine, cette liste noire soulève un nombre de questions sous l’angle du mécanisme, comme l’éclaire le clash à propos de FedEx. La messagerie de Memphis est placée sous enquête par la Chine, après l’acheminement erroné (plaide Fedex) ou malicieux (accuse Huawei) de colis vers les Etats-Unis, alors qu’ils étaient destinés à l’Asie. Si –comme probable -, l’enquête conclut à une faute de FedEx, le transporteur doit s’attendre à une lourde amende, voire à la suspension de sa licence sur sol chinois…
Selon l’influent rédacteur en chef du Global Times Hu Xijin le 8 juin, la Chine s’apprêterait à freiner certaines de ses exportations technologiques aux États-Unis, via un mécanisme de contrôle.
Pékin prépare aussi un embargo sur ses ventes de terres rares, la Chine représentant 80% de la production mondiale. Ce n’est pas une première : elle avait engagé le même processus en 2010 lors d’une crise maritime avec le Japon, avant de faire machine arrière.
Enfin, dénonçant une vague de refus de visas américains à ses ressortissants, Pékin avertissait le 4 juin ses touristes, hommes d’affaires et étudiants contre un voyage Outre-Pacifique.
Sur le plan de la propagande, dans un « livre blanc » du 2 juin, Pékin rejettait à son tour la faute au partenaire sur l’échec des palabres, et réaffirmait qu’elle ne céderait pas aux pressions, mais veut bien discuter sur des « bases crédibles ». A l’évidence, la partie chinoise tente de reprendre le contrôle de la narration, de livrer au monde sa version des faits. Suite à sa virulente campagne médiatique contre les USA, la démarche peut sembler la montagne accouchant d’une souris. Dans l’expectative, certains commentateurs spéculent que l’entourage de Xi Jinping, réalisant que la course aux sanctions est du temps perdu, se serait convaincu de l’urgence de ne pas entrer dans une provocation qui ne ferait que retarder le retour au tapis vert…
En réalité, la Chine se trouve indéniablement dans une situation délicate, face aux pertes déjà subies par ses entreprises, l’inquiétude grandissante de sa classe moyenne, et surtout face aux risques que lui feraient encourir toute manœuvre dérapant hors frontière, hors contrôle. D’après l’institut berlinois Mercator : une solution pour la Chine consisterait à vendre lentement ses 1200 milliards de $ de bons du trésor US, pour éroder en douceur ainsi la valeur du billet vert. Ainsi, l’Amérique achèterait moins de biens chinois, la Chine et l’Europe commanderaient davantage de made in USA, réduisant ainsi le déficit commercial avec le pays de Donald Trump, motif déclencheur du conflit et premier objet du contentieux transpacifique !
Une autre intéressante thèse est déployée par l’ex-1er ministre australien Kevin Rudd (parfait sinologue) : la Chine, en dépit de ses discours combatifs, pourrait se préparer à une tempête suite à 1,2% de baisse de croissance, et vouloir compenser en stimulant le marché intérieur par des incitations fiscales et monétaires. Au sein du Parti, l’aile dure s’interroge sur le sens de faire des concessions face à des Etats Unis résolus à poursuivre la confrontation en tout état de cause inévitable…
Sommaire N° 23 (2019)