Boucher de son métier, Ma Qiang s’est mis en tête de devenir pilote de course …
En mars 2019, à 32 ans, Ma Qiang passa son permis de pilote de compétition. Il n’eut qu’à fournir au bureau des licences deux carcasses de cochons nourris au grain, qui fourniraient l’essentiel du banquet du week-end, sans trop ouvertement prêter flanc à l’accusation de corruption. De toute manière, la municipalité avait besoin de candidats pour alimenter les courses automobiles de son tout jeune circuit de formule 3.
Trois mois plus tard, Ma était passé propriétaire de son tout-terrain de fabrication russe à bout de souffle. Afin de réconcilier ce sport coûteux avec son budget de vaches maigres, il effectua lui-même la plupart des travaux de mise à niveau sous la supervision de Zhang, son copain mécano. Il démonta son moteur pour réaléser les cylindres, changer chemises et pistons à partir de pièces de récupération, et effectuer le réglage des soupapes afin d’obtenir la compression et la puissance maximales. Séquelle d’un accident mal réparé, le véhicule lui avait été légué sans carrosserie arrière : il découpa et souda de la tôle, tout en laissant la partie supérieure de la structure tubulaire à l’air libre par souci d’économie. Il avait aussi retapé son embrayage et renforcé les freins, en prévision des bosses, côtes et épingles à cheveux. Quand il ne bricolait pas au garage de Zhang, il s’entraînait sur l’anneau de compétition.
Quoique soucieuse des finances du ménage, Naifeng, son épouse se gardait de le disputer : à tout prendre, sa passion pour l’automobile le détournait d’autres passe-temps plus délétères comme courir les femmes ou pratiquer le jeu clandestin au mah-jong. Et puis il fallait bien l’admettre, de ses tournées de livraison de viande de porc, Ma Qiang rapportait ponctuellement à la maison le denier du ménage et gardait à cœur, trois fois par semaine, d’aider Dou-Dou, leur fille de six ans dans ses devoirs à la maison. Aussi Naifeng préférait taire ses inquiétudes de le voir se blesser à bord de son bolide mal en point dont on pouvait penser que « 除了喇叭不响,到处都响 » (sauf le klaxon qui est en panne, toute la voiture sonne; chúle lǎba bù xiǎng, dàochù dōu xiǎng).
Enfin, le grand jour arriva : celui du premier tour de la compétition nationale des « véhicules classe cinq », auquel Ma Qiang était inscrit. Ayant ajouté à son carburant un éther théoriquement prohibé, il s’était retrouvé aux essais, titulaire d’un des meilleurs temps, et donc en bonne position, juste derrière la Volkswagen d’un sous-officier d’aviation, et devant la Mitsubishi d’un pharmacien privé. A travers le pays, ils étaient 187 candidats : ils se mesureraient les uns aux autres en quatre demi-finales. Tous les véhicules pétaradaient en pole position, les pilotes engoncés dans leurs sièges. Leurs bolides portaient les noms et logos de leurs sponsors vrais ou faux – tous n’avaient pas trouvé d’entreprise pour financer leur saison. Les malchanceux avaient donc été réduits à cacher la misère, en peignant sur leurs capots des noms de fantaisie.
Le signal du départ fut donné, et les bolides s’élancèrent dans un nuage bleu. Ma Qiang réalisa immédiatement sa chance d’avoir tiré sa position en tête : juste derrière lui, un roadster cala, percuté par cinq autres, ce qui lui donna, comme au groupe de tête, une avance de 47 secondes, le temps que les dépanneuses dégagent les accidentés.
Immanquablement au fil des 30 tours de circuit, les modèles les plus solides le doublèrent un à un, comblant leur retard. Mais les pannes et collisions qui émaillèrent l’épreuve, imposèrent de nombreux abandons. Ainsi contre toute attente, à l’arrivée, notre héros pilote arrivait quatorzième à bord de son véhicule portant le numéro 128. Il était donc dans la botte des quinze sélectionnés pour la finale. Zhang, son coéquipier était au stand pour l’embrasser, vainquant la pudeur naturelle des Chinois.
Le surlendemain, après avoir travaillé d’arrache-pied à deux pour remettre le véhicule en état, Ma se retrouvait sur la ligne de départ, face à 300 000 spectateurs venus des trois provinces voisines, sous un soleil radieux. Mais cette fois, son n°128 partait en bien moins flatteuse position face à une concurrence plus sérieuse. Dès le premier tour, il était largué, et quoiqu’il fît, il se vit doubler plus de trois fois par les bolides de tête. Peu avant l’arrivée, il quitta la piste et dérapant piteusement, se retrouva en marche arrière, le commentateur sur CCTV, suggérant qu’il avait brisé « quelque chose par devant » – sa propulsion en 4×4. En effet, désespérant de refaire son retard, Ma avait franchi pied au plancher le mamelon à mi-ligne droite, se retrouvant en sustentation durant trois interminables secondes – à sept mètres de hauteur- avant de se ramasser lourdement à l’arrivée. Mais pour Ma Qiang, cet envol avait été l’un des moments les plus exaltants de sa vie, sentant dans tout son corps l’excitation du danger et du dépassement de soi.
Et peu lui importait s’il franchissait en dernier la ligne devant le drapeau à damier blanc et noir : en concourant, il acquérait une figure de héros aux yeux de sa fillette qui lui disait « 加油 » (jiāyóu, allez! »). A son niveau, il avait conscience d’aider sa ville de Fuxin à changer de destin, de ville-cimetière à une ville illuminée des lumières de la TV et de la course. Tout bien considéré, il offrait même au pays entier un petit bout de rêve, celui du dernier de la course, intrépide et droit dans ses bottes. Loin de vouloir abandonner, si Ma Qiang survivait à la crise économique et à l’épidémie qui fondait droit sur eux tous, il savait déjà quel futur bolide il s’offrirait, le bolide par lequel, finalement, il gagnerait la course !
1 Commentaire
severy
4 juin 2020 à 16:52E-pa-tant!