
Les cadres continuent de tomber comme des mouches (ou plutôt comme des « tigres » selon le bestiaire de l’anti-corruption). Après la chute de l’ex-ministre de la Justice, puis celle du ministre de l’Agriculture, voici le tour de l’ancien secrétaire du Parti au Tibet, Wu Yingjie (cf photo), d’être placé sous enquête. C’est le 8ème cadre de niveau ministériel à être inquiété par les enquêteurs de la Commission Centrale de l’Inspection de la Discipline (CCID) depuis le XXème Congrès du Parti en octobre 2022.
Depuis son départ du « toit du ciel » fin 2021, Wu, avait été nommé vice-directeur d’un comité sur la culture, les données et études historiques de la CCPPC. Alors, pourquoi s’en prendre à un homme de 67 ans, qui semblait aspirer à partir tranquillement en retraite ?
En 2016, l’annonce de sa nomination à la tête de la région autonome tibétaine avait été relativement bien accueillie par les analystes étrangers après cinq années de gouvernance « dure » sous Chen Quanguo (ex-membre du Politburo et ancien secrétaire du Parti pour le Xinjiang). En effet, Wu a passé plus de 40 ans de sa carrière au Tibet et en connaissait donc bien les us et coutumes. Cela ne l’a pas empêché de poursuivre les politiques d’assimilation culturelle et religieuse instaurées par son prédécesseur. De quoi satisfaire Pékin, pas les Tibétains, qui se réjouissent aujourd’hui sur les réseaux sociaux chinois de le voir tomber pour corruption…
La chute de Wu Yingjie s’ajoute à une longue liste de limogeages d’anciens dirigeants de la région autonome. Il y a d’abord eu Yang Jinshan, expulsé du Parti en 2014 pour ses liens avec le général déchu Xu Caihou, un allié de feu Jiang Zemin ; Le Dake, emporté en 2015 dans la chute de Ma Jian, ex-directeur du renseignement et associé de l’ancien vice-président, Zeng Qinghong ; et plus récemment, Jiang Jie, un associé de l’ex-n°4 du Parti, Yu Zhengsheng, arrêté par la CCID début 2024, tout comme Dong Yunhu, un proche de Liu Yunshan, l’ex-tsar de la propagande, et Wang Yong, cadre de rang vice-provincial…
Tous ont tenu des postes à responsabilité au Tibet et certains étaient même des subordonnés de Wu Yingjie… Cependant, leur chute n’a rien à voir avec leur gouvernance au Tibet. Ils ont plutôt fait les frais de luttes de pouvoir au sein du Parti. C’est également le cas de Wu. Et selon toute vraisemblance, à travers lui, ce serait en fait Hu Chunhua, l’ex-vice-premier ministre chargé de l’agriculture, qui serait ciblé. L’arrestation récente d’autres associés de Hu, vient confirmer cette thèse. Il s’agirait là d’une stratégie classique de déstabilisation entre différentes « cliques politiques », en neutralisant le réseau de soutiens d’un dirigeant en s’attaquant à ses « secrétaires » (alliés).
Un temps considéré comme l’un des successeurs potentiels de Xi, la voie semblait toute tracée pour Hu : membre du Politburo (25 membres), il pouvait prétendre à atteindre le firmament du Parti en obtenant un siège au Comité Permanent (7 membres dont Xi) lors du XXème Congrès en 2022. Il fut néanmoins descendu en plein vol et rétrogradé à un poste de vice-président du Comité national de la CCPPC. Depuis, « le petit Hu » (de son surnom, en raison de sa ressemblance physique avec son mentor, l’ancien Président Hu Jintao), fait profil bas…
Mais cela ne semble pas suffire à Xi qui paraît déterminé à éliminer, ou du moins, neutraliser, toute figure polarisante ou pôle alternatif à son agenda gauchiste. Or, en tant que l’un des derniers grands représentants de la faction de la « Ligue de la jeunesse », Hu Chunhua peut être considéré comme tel.
A bien y regarder, Xi semble avoir Hu dans le collimateur depuis un petit bout de temps déjà. En lançant en 2020 une enquête anti-corruption dans le secteur du charbon remontant aux 20 dernières années en Mongolie Intérieure, Xi cherchait déjà à lui créer des problèmes, Hu ayant dirigé la région de 2009 à 2012.
Plus récemment, Hu Chunhua s’est retrouvé au cœur de rumeurs affirmant qu’il aurait facilité l’attribution de parcelles destinées au développement immobilier à Evergrande, promoteur aujourd’hui en faillite, lorsqu’il était à la tête de la province du Guangdong (2012-2017)… Mais rien de suffisant pour incriminer Hu, ou du moins, saper sa réputation.
Ce dernier, en tant que vétéran du Parti, doit savoir que cette campagne d’encerclement n’est qu’un pas supplémentaire vers son isolement, voire son retrait de la scène politique. Mais, à quelques semaines seulement du 3ème Plénum (la date exacte pourrait être connue la semaine prochaine), assister à de tels règlements de compte n’a rien de surprenant…
Sommaire N° 22 (2024)