Histoire : 33 ans plus tard

33 ans plus tard

Que reste-t-il de la mémoire du « Printemps de Pékin », 33 ans plus tard ? En Chine, plus grand-chose malheureusement… En trois décennies, le pouvoir a méthodiquement éradiqué le souvenir de ces manifestations place Tian An Men et de leur fin tragique dans la nuit du 3 au 4 juin 1989. Ses leaders ont été emprisonnés, les manuels d’histoire n’en font pas mention et les pages internet sont censurées… Les participants ayant survécu au massacre se sont souvent bien gardés de raconter ce drame à leurs enfants de peur de les mettre en danger, ce qui fait qu’une écrasante majorité de la jeunesse chinoise n’a aucune idée de ce qu’il s’est véritablement passé ce printemps-là.

Même la veillée organisée chaque année au Victoria Park à Hong Kong, rassemblant des dizaines de milliers de personnes, n’aura probablement plus lieu depuis le passage de la loi de sécurité nationale en 2020 et l’arrestation pour « subversion » des principaux organisateurs. Depuis lors, le « Pilier de la honte » (cf photo), une sculpture de 8 mètres de haut représentant un enchevêtrement de visages déformés par la douleur, installée en mémoire des victimes, et des répliques de la « Déesse de la démocratie », statue érigée par les étudiants sur la place Tian An Men, ont été retirées des campus universitaires hongkongais, par précaution… Enfin, les messes habituellement célébrées par l’église catholique de Hong Kong à la mémoire des victimes du 4 juin 1989, ont elles aussi été annulées cette année, par crainte de poursuites. L’ex-colonie britannique était le seul endroit en Chine où la commémoration du mouvement était encore tolérée.

À présent, la mémoire de Tian An Men ne tient plus qu’aux observateurs et témoins de l’époque exilés à l’étranger. A Taipei, une copie du « Pilier de la honte », ressuscité grâce à une imprimante 3D, a été dévoilée le 4 juin, tandis que des veillées ont eu lieu à Séoul, Sydney, Paris, Londres… Depuis Washington, le Secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a rendu hommage sur Twitter aux « courageux manifestants » qui avaient « réclamé pacifiquement la démocratie sur la place Tian An Men » il y a 33 ans. « Malgré la suppression des monuments commémoratifs et les tentatives d’effacer l’histoire, nous honorons leur mémoire en promouvant le respect des droits humains partout où ils sont menacés », a-t-il écrit.

Étrange écho du passé, de brèves manifestations – rapidement censurées sur la toile – ont eu lieu fin mai au sein de plusieurs universités à Pékin et à Tianjin, dont celle de Beida (cf photo) qui a vu naître le mouvement de 89. Quelques milliers d’étudiants se sont réunis pour dénoncer la rigidité des mesures sanitaires (interdiction de quitter leurs dortoirs, mur de séparation…) appliquées sur leurs campus respectifs.

Les autorités, bien conscientes que l’histoire à une fâcheuse tendance à se répéter, ont finalement assoupli les restrictions entravant les mouvements des étudiants, de peur que « des ennemis » (du Parti) associent ces manifestations à « l’incident du 6.4 ». 

Certes, un parallèle entre les deux évènements de 33 ans d’écart est tentant. Cependant, les manifestations de 1989, déclenchées par la mort du réformiste Hu Yaobang, réclamaient davantage de démocratie et de libertés. Celles de 2022 sont beaucoup plus modestes en taille et en revendications, se limitant aux problèmes rencontrés par les étudiants en période de rebond épidémique.

Finalement, on ne peut s’empêcher de penser que même s’ils apprenaient la vérité sur le Printemps de Pékin, les jeunes Chinois, à qui on serine que le « socialisme aux caractéristiques chinoises » est supérieur aux démocraties occidentales, se sentiraient probablement moins concernés par cette page de l’histoire qui remonte à avant leur naissance, que par le confinement draconien imposé à Shanghai (et bien d’autres villes). Pour eux, c’est l’exemple le plus concret et le plus récent de ce que le Parti est capable de faire lorsque la situation lui échappe…

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