Au détour d’une rue piétonne au cœur de l’ancienne concession française de Shanghai, une foule se bouscule devant une « shikumen », maison traditionnelle en brique datant du début du XXème siècle.
C’est ici qu’un certain Mao Zedong se serait réuni avec douze autres protagonistes le 23 juillet 1921 pour tenir le premier Congrès national du Parti Communiste Chinois (PCC). Une réunion clandestine qui s’est finalement terminée une dizaine de jours plus tard sur un bateau, au Lac du Sud à Jiaxing dans le Zhejiang…
Après plusieurs mois de rénovation, le site du 1er Congrès du PCC a rouvert ses portes le 3 juin, en présence de Li Qiang, secrétaire du Parti de Shanghai. Chaque jour, 10 000 visiteurs s’y pressent pour découvrir 1 168 reliques historiques et photos d’époque relatant la fondation du PCC. Clou de la visite : les premières éditions traduites en chinois du « Manifeste du Parti communiste ».
À l’extérieur, les badauds font la queue pour se faire prendre en photo devant la plaque commémorative de l’évènement, déployant drapeau chinois et banderoles à la gloire du Parti, sous l’œil attentif de plusieurs policiers, prêts à intervenir au moindre débordement… Aucun incident ne doit venir troubler les célébrations du centenaire du PCC, dernière étape majeure avant le XXème Congrès du Parti à l’automne 2022, qui devrait avaliser un troisième mandat de cinq ans pour le Président Xi Jinping.
Cet engouement pour le « tourisme rouge » ne se limite pas à la ville qui a vu naître le Parti. À travers la Chine entière, les visiteurs convergent en masse vers ces « lieux sacrés », comme Yan’an (Shaanxi), base de repli de l’Armée Rouge après sa Longue Marche, Zunyi (Guizhou) site de la célèbre conférence de 1935 au cours de laquelle Mao a établi son autorité, Jinggangshan (Jiangxi), ville de 200 000 habitants célébrée comme le « berceau de la révolution », ou encore Shaoshan (Hunan), lieu de naissance du Grand Timonier.
À en croire les statistiques officielles, le nombre de touristes « rouges » aurait été multiplié par dix en quinze ans, surtout depuis l’arrivée au pouvoir fin 2012 de Xi Jinping, leader prônant un nationalisme décomplexé. Pour la seule année 2019, ces hauts lieux du communisme auraient reçu 1,41 milliard de visiteurs, c’est-à-dire l’équivalent de la population chinoise ! Et à l’approche du 100ème anniversaire du Parti, qui sera célébré le 1er juillet (et non pas le 23 juillet, car Mao ne se rappelait plus de la date précise vingt ans plus tard), plusieurs sites touristiques ont vu leur fréquentation tripler.
Parmi les visiteurs, des membres du Parti qui profitent de l’excursion pour jurer à nouveau fidélité au PCC, des retraités « mao-nostalgiques », des employés de firmes d’État et d’entreprises privées, ou encore des groupes d’élèves emmenés par leurs professeurs en « formation patriotique ». Même l’équipe nationale de football a dû effectuer un « pèlerinage rouge », en préparation des qualifications au Mondial 2022…
Même si les touristes affluent sur ces sites « rouges », c’est bien dans la capitale chinoise que se dérouleront les festivités le jour J. Dans un format rappelant les 70 ans de la République Populaire de Chine en 2019 – sans la parade militaire – Xi Jinping devrait prononcer un discours « majeur », décerner des médailles aux membres du Parti les plus méritants (héros de guerre, martyrs, scientifiques, diplomates, ouïghours…) avant qu’un défilé-spectacle n’ait lieu. Il a déjà été annoncé que les abords de la place Tiananmen seront inaccessibles une semaine avant… Surtout, ce 100ème anniversaire est l’occasion pour l’actuel Secrétaire général d’accentuer sa mainmise sur le Parti, de mettre en valeur ses succès personnels (victoire contre le virus, éradication de la grande pauvreté…), tout en reprenant à son compte l’incroyable transformation en un siècle d’un pays qui n’était que l’ombre de lui-même, à une superpuissance qui ambitionne de reprendre, coûte que coûte, la place qui lui revient sur la scène internationale.
Sommaire N° 22-23 (2021)