C’était le moment que tout le monde attendait. Avec plus de deux mois de retard, la Chine débutait ses « Deux Assemblées » (consultative – CCPPC – et législative – ANP) en une session condensée (21 – 28 mai). Dans une ambiance solennelle, les 3 000 délégués présents observèrent une minute de silence en mémoire des 4 645 vies chinoises fauchées par le Covid-19 (selon l’admission officielle). Mis à part les 25 membres du Bureau Politique, tous les parlementaires présents au Grand Palais du Peuple portaient un masque (cf photo).
Quoique éclipsé par la tonitruante annonce la veille du passage en force d’une loi de sécurité nationale à Hong Kong, le rapport gouvernemental présenté par le Premier ministre Li Keqiang en ouverture de l’ANP n’en est pas moins important, révélant en 23 pages les priorités et les inquiétudes du régime.
Le grand enjeu de 2020 est sans aucun doute l’emploi (terme le plus récurrent dans le discours – revenant 34 fois). Le taux de chômage urbain a été relevé de 0,5%, à 6%. Mais les analystes de Zhongtai Securities estiment plutôt que le taux réel (travailleurs migrants inclus) serait de 20%. 70 millions de personnes auraient perdu leur emploi durant l’épidémie. Une situation qui est particulièrement préoccupante chez les moins de 24 ans (taux officiel de 13,8% en mars), menaçant la stabilité sociale (mentionné 9 fois).
Rompant avec une tradition décennale, le gouvernement renonçait à fixer un objectif de PIB pour l’année, « la pandémie ayant provoqué bien trop d’incertitudes ». En effet, la croissance (prononcé seulement 4 fois) devrait tourner autour de 1% cette année, menaçant les deux objectifs stratégiques du Parti pour l’année. Hors de portée pour 2020, le doublement du revenu par habitant par rapport à 2010 ne revient que 6 fois. Par contre, le rapport se focalise sur l’éradication de la grande pauvreté (23 fois) : fin 2019, 5,5 millions de personnes vivaient encore dans la misère, auxquelles il faut désormais ajouter au moins 380 000 personnes supplémentaires que l’épidémie a fait basculer sous le seuil des 3,218 yuans annuels. Contrairement à la croissance, la réforme (du système de santé, des entreprises d’État, du monde rural…) conserve une place de choix dans le rapport (28 fois).
La Chine a bien retenu la leçon de la crise financière de 2008, et le grand stimulus attendu n’aura donc pas lieu. Toutefois, Li Keqiang annonçait une sensible augmentation du déficit budgétaire à 3,6 % du PIB, nettement plus important que celui de 2019 (2,8 % du PIB) et surtout bien au-dessus du plafond officiel de 3 %. L’Etat compte émettre pour 3 750 milliards de yuans d’obligations « spéciales » des gouvernements locaux (contre 2 150 milliards en 2019), et pour 1 000 milliards de yuans de bons « spéciaux » du Trésor. C’est une première depuis 2007, mais c’est moins que prévu… Au total, le stimulus fiscal accordé représenterait 4,1% du PIB.
La relance sera principalement axée sur les « nouvelles infrastructures » (2 fois) comme la 5G, les « big data », les caméras de surveillance, les véhicules autonomes… Elle sera concrétisée par un grand plan consacré à l’intelligence artificielle doté de 14 000 milliards de yuans sur cinq ans (2025). L’environnement (4 fois) reçoit également plus de fonds par rapport à 2019 (407 milliards de yuans).
Sous l’angle sanitaire (4 fois), le système de prévention épidémique sera réformé : le Centre national de prévention des maladies (CDC) est chargé de rédiger un nouveau plan de réponse épidémique, tandis que le niveau de biosécurité de ses laboratoires devra être renforcé. Chaque province devra disposer de son propre laboratoire P3, et augmenter le nombre de lits dans les services de soins intensifs de leurs hôpitaux. Les gouvernements locaux étant déjà très endettés, ces dépenses seront financées par les nouvelles obligations « spéciales ».
Exprimant la priorité donnée à la situation nationale et le contexte international tendu, les États-Unis ne sont donc cités qu’une fois, lorsque Li réitère l’engagement de la Chine à respecter l’accord commercial de janvier. Alors que 2020 devait être l’année de l’Europe, le vieux continent n’apparaît pas dans le rapport, un mauvais signe pour le sommet Chine-UE prévu en septembre. Autre mauvais présage : le passage sur Hong Kong (6 fois) ne mentionne aucunement la « Basic Law ». Concernant Taïwan (6 fois), le terme de réunification « pacifique » a disparu. Cela peut en partie expliquer pourquoi le budget militaire (4 fois) continue d’augmenter (+6,6%) à 1 268 milliards de yuans pour 2020, même si son rythme est le plus lent depuis 20 ans.
Sans aucun doute, la Chine est confrontée à « des défis sans précédent ». Pour autant, cette situation inédite dans l’histoire du pays n’a pas l’air de secouer la légitimité de Xi Jinping (cité 13 fois). Malgré des nuages noirs orageux lors de l’ouverture du grand rendez-vous politique à Pékin, le « cœur » du Parti (8 fois) semble conserver son « mandat du ciel ». Si le régime a ses doutes et ses oppositions internes, il n’est moins que jamais le moment d’en faire état.
Sommaire N° 22 (2020)