Hong Kong : Pékin perd patience

Alors que le monde entier est aux prises avec le coronavirus, la Chine vient de franchir une nouvelle étape dans sa reprise en main de Hong Kong. Le jour de son ouverture, l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) a annoncé le vote d’ici le 28 mai d’une motion visant à promulguer une loi de sécurité nationale dans sa turbulente « région administrative spéciale » (RAS), un projet en route depuis le 4ème Plenum fin octobre 2019.

Le texte interdirait « la sécession, l’ingérence étrangère, le terrorisme et toute activité séditieuse » destinée à renverser le pouvoir central. Il permettrait donc aux autorités hongkongaises, à la botte de Pékin, de réprimer tout comportement portant atteinte à la sécurité nationale. Ce projet serait synonyme d’un contrôle renforcé sur la presse, l’éducation, et la liberté d’expression, et ouvrirait la porte à tous les abus. Le mois dernier, l’arrestation de 15 personnalités du mouvement pro-démocratie en donnait un avant-goût…

Naturellement, cette annonce a fait bondir les députés de l’opposition, qui dénoncent une attaque directe au principe « d’un pays, deux systèmes » accordé à l’ex-colonie britannique lors de sa rétrocession en 1997. Certains militants pro-démocratie anticipent déjà la « fin de Hong Kong ». Les investisseurs n’étaient pas plus optimistes, craignant que la RAS perde son statut de place financière internationale : la Bourse de Hong Kong plongeait de 5,6% à sa clôture le 22 mai, la plus forte chute journalière depuis 2015. Les habitants eux, inquiets que la « grande muraille de feu » (la censure chinoise) s’abatte sur leur internet, se sont rués sur les VPN (réseau privé virtuel). Des appels à manifester ont été lancés pour le week-end, mais les manifestants étaient attendus par 6 000 policiers antiémeutes.

La cheffe de l’exécutif Carrie Lam, décrédibilisée par sa mauvaise gestion des crises successives (politique puis sanitaire), se voulait rassurante et affirmait que cette loi n’affecterait pas les libertés des citoyens, ni l’indépendance de la justice, ni les intérêts des investisseurs. « Au contraire, elle va offrir un environnement stable pour tous, sans la menace du terrorismeCe projet a mon total soutien », déclarait-elle.

En 2003, cette même loi, prévue par l’Article 23 de la « mini-Constitution » de la RAS, avait conduit un demi-million de Hongkongais dans les rues, y voyant une menace pour leurs libertés. Le 1er chef de l’exécutif de Hong Kong, Tung Chee-hwa, ne s’en était d’ailleurs jamais remis politiquement et avait présenté sa démission à mi-mandat. Depuis lors, l’administration de la RAS s’était bien gardée de la remettre à l’ordre du jour…

Le violent mouvement de contestation déclenché en juin 2019 par un projet de loi d’extradition, mais reflétant un mécontentement plus large à l’encontre du gouvernement, a convaincu Pékin de l’urgence de l’adopter elle-même, frustré par l’incapacité de l’exécutif hongkongais de le faire.

Le texte sera d’abord soumis au Comité permanent de l’ANP courant juin ou au plus tard en août, puis listé en Annexe III de la « Basic Law », et enfin, il pourra être promulgué automatiquement ou adopté par le Parlement local – probablement tant qu’il est encore aux mains des pro-Pékin, les élections au LegCo étant attendues pour septembre.

Cette loi devrait s’accompagner d’une arrivée sur le territoire d’antennes des services de renseignements chinois qui s’assureront de sa bonne application sur le territoire. Une annonce qui laissait même songeurs les délégués hongkongais présents à l’ANP… Mme Lam confiait n’avoir pas tous les détails.

Plus alarmant encore, en poussant l’adoption de cette loi, Pékin sait pertinemment que Hong Kong pourrait à nouveau s’enfoncer dans une forme de guérilla ruineuse, incitant habitants, entreprises et capitaux à prendre la porte de sortie. Au premier trimestre, la croissance de la RAS a chuté de 8,9%, un plongeon historique. Jusqu’à présent, ces mouvements ont toujours conduit à une reculade de l’exécutif. Mais cette fois, le régime semble déterminé à passer cette loi, quel qu’en soit le prix, quitte à « tuer la poule aux œufs d’or » ou à ce que le sang coule à nouveau dans la RAS.

Ce faisant, Pékin défie ouvertement Washington, qui doit rendre d’ici la fin du mois son premier rapport d’évaluation sur le degré d’autonomie de Hong Kong, dont dépend le statut économique spécial que lui accordent les États-Unis. Le Président Trump a déjà prévenu qu’il ne resterait pas sans réagir. Mettra-t-il ses menaces à exécution ou laissera-t-il la Chine agir impunément ? Révoquer certains des privilèges de la RAS ne ferait que l’affaiblir davantage sans toucher directement Pékin. L’administration américaine pourrait donc réfléchir à d’autres formes de sanctions. Elles ne tardèrent pas : le 22 mai, le Département du Commerce américain ajoutait 33 entreprises chinoises (dont celle de cybersécurité Qihoo 360) à sa liste des entités, les empêchant de se fournir aux USA. Un projet de loi bipartite prévoyant de sanctionner les responsables de la répression des Ouïghours (dont Chen Quanguo, membre du Politburo) vient également d’être adopté par le Sénat américain et doit être présenté devant la Chambre des représentants le 27 mai. Trump n’aura plus qu’à le signer… Washington pourrait également élargir ses interactions avec Taïwan, ce qui ne manquerait pas d’irriter la Chine.

Justement à Taipei, ce raidissement à Hong Kong éloignait encore plus toute possibilité de réconciliation pacifique avec Taïwan sous le même principe « d’un pays, deux systèmes ». En réaction à la nouvelle, le bureau des affaires continentales à Taipei taclait : « le Parti est incapable d’introspection, ignorant les véritables racines de l’instabilité dans la RAS et préférant blâmer les forces étrangères ».

Selon Jean-Yves Heurtebise, maître de conférences à l’Université Catholique FuJen et membre associé au CEFC, « si Hong Kong « tombe », Taipei sait qu’elle est la prochaine sur la liste. Taïwan a donc besoin de la résistance hongkongaise pour gagner du temps. De même, Hong Kong a besoin de Taïwan comme base arrière ». Leurs destins n’ont jamais été aussi liés…

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1 Commentaire
  1. severy

    L’on pourrait parfaitement comparer Taïwan à un certain village d’irréductibles Gaulois résistant à l’envahisseur romain mais on sait bien que la culture gallo-romaine a fini par s’imposer par la suite… jusqu’à l’arrivée des peuples germaniques.

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