Jamais une assemblée annuelle de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) n’avait été aussi importante que cette 73ème , réunissant ses 194 membres en visioconférence le 18-19 mai. Pour la Chine, elle débutait bien puisque, juste avant son ouverture, Taïwan consentait à reporter à la fin de l’année le débat sur sa participation en tant que membre observateur.
Par la suite, la Chine ne reçut pas exactement les applaudissements escomptés. Les milliards de masques et de kits de dépistage n’ont pas suffi à faire oublier que le SRAS-nCov-2 a été identifié pour la première fois en Chine à Wuhan, ni sa tentative de dissimulation de l’épidémie, et encore moins sa relation complice avec l’OMS. « L’OMS est la marionnette de Pékin », tempêtait le Président Trump, qui a préféré boycotter le sommet. À l’issue de l’assemblée, le locataire de la Maison-Blanche donnait un ultimatum de 30 jours à l’OMS pour procéder à des « améliorations », sans quoi le financement américain (400 millions de $ annuels) serait retiré pour de bon, tout comme la participation des États-Unis à l’organisation onusienne. Une décision qui ferait de la Chine le meilleur garant de la santé publique dans le monde.
En effet, quand Washington se retire, Pékin avance ses pions. Grâce à un concours de circonstances, le Président Xi Jinping était le premier des cinq chefs d’État à prendre la parole. Le leader chinois a d’abord répondu implicitement aux critiques : son pays a agi avec « ouverture, transparence et responsabilité ». « Nous avons rapidement informé l’OMS, identifié le virus, et partagé notre expérience avec le reste du monde » se défendait-il. Xi en profitait pour faire la promotion de son concept de « communauté de destin pour l’humanité » en promettant de partager le futur vaccin chinois et de faire un chèque de 2 milliards de $ sur deux ans aux pays les plus pauvres pour lutter contre la maladie.
Ces généreuses promesses n’empêchaient pas la Chine d’être attendue au tournant par une centaine de pays réclamant une enquête internationale indépendante à l’OMS sur l’origine du virus. La première résolution proposée par l’Australie, demandant qu’une enquête soit entamée immédiatement, fut jugée trop incisive. Canberra paie cher cette tentative puisque Pékin a frappé de tarifs douaniers son orge et a suspendu ses importations de bœuf. C’est finalement la version portée par l’Union européenne qui remporta tous les suffrages (plus de 140 pays), même des alliés de la Chine comme la Russie ou l’Indonésie.
À chaque mot son importance : le texte approuvé à l’unanimité appelle l’OMS à travailler avec les autres agences onusiennes pour identifier la source « zoonotique » du virus et sa transmission à l’Homme. Cette « évaluation impartiale, indépendante et complète » aura lieu au « moment approprié ».
Face à une telle levée de boucliers, la Chine n’avait d’autre choix que d’y consentir. D’une part, car elle sait qu’une enquête est inévitable : c’est une procédure standard, enclenchée après chaque épidémie. D’autre part, résister plus longtemps n’aurait fait qu’abîmer un peu plus son image. Accepter cette évaluation lui permet donc de sauver les apparences en se montrant coopérative.
Et malgré ses airs magnanimes, Xi Jinping n’a fait aucune concession. Au contraire, il a obtenu ce qu’il souhaitait.
Vu la complexité d’une telle évaluation internationale, il aurait été difficile de la confier à une autre organisation que l’OMS. Or rien ne garantit que la Chine n’intervienne pas, en influencant la composition de l’équipe par exemple. Les mauvaises langues diront que les 2 milliards de $ mis sur la table par Xi Jinping sont en fait une dette politique contractée par l’OMS, que Pékin sera à même de rappeler en temps utile. De plus, il est hautement improbable que Pékin accorde un libre accès à ses informations et à ses sites à des experts étrangers. Ils ne verront donc que ce que la Chine veut bien montrer.
Ensuite, par définition, une évaluation sur l’origine « zoonique » du virus n’inclut pas une visite des laboratoires de Wuhan. Cela donnera un argument supplémentaire à Washington pour contester ses conclusions.
Sous cette lumière, il est facile de prédire que les résultats de cette évaluation seront critiqués tout comme son impartialité.
De plus, le fait que la résolution ne désigne pas clairement Wuhan, ni même la Chine permet à Pékin de maintenir l’ambiguïté sur les origines du virus en pointant vers d’autres directions. Selon le rédacteur en chef du Global Times Hu Xijin, « la Chine ne doit pas être la seule cible de cette évaluation, les États-Unis et d’autres pays ayant retrouvé des traces du Covid-19 à une date antérieure au premier cas chinois (comme la France ou l’Italie) doivent également être inclus ». La Chine n’a donc aucun intérêt à dévoiler les résultats de sa propre enquête. D’ailleurs depuis le 26 janvier, lorsque 33 échantillons prélevés au marché de Huanan de Wuhan testaient positifs au SRAS-nCov-2, plus aucune avancée n’a été dévoilée…
Enfin, Xi sait que le temps joue en sa faveur : si l’évaluation n’a lieu que lorsque la maladie sera endiguée à travers le monde, il faudra probablement attendre des mois, voire des années. À titre d’exemple, le SRAS a été contenu rapidement, mais le MERS et Ebola représentent toujours une menace. Les résultats d’une telle évaluation pourraient perdre en intérêt s’ils sont publiés dans cinq ou dix ans ! D’ici là, de l’eau aura coulé sous les ponts, et d’autres polémiques occuperont le devant de la scène. Xi sera toujours au pouvoir, tandis que les Présidents actuels auront cédé leur place…
Finalement, si le régime veut absolument contrôler tous les aspects de cette évaluation (son calendrier, son contenu, sa géographie), c’est qu’il la considère avant tout comme une menace à sa stabilité, pas comme une leçon pour l’avenir. La Chine a beau appeler à la coopération internationale, elle n’a pas l’air prête à jouer le jeu.
1 Commentaire
severy
27 mai 2020 à 13:17Très bien raisonné. Excellent article.
A-t-on déjà choisi le nom du prochain virus épidémique? S’il est toujours au pouvoir, Xi Yeye pourra le baptiser en se penchant sur son berceau.