Depuis sa restitution à la Chine le 1er juillet 1997, Hong Kong voit son quotidien partagé entre de longues périodes de léthargie et de brusques accès d’ébullition, ces derniers dus à une pression croissante de la Chine pour renforcer son emprise sur les 7 millions d’habitants, rabotant le socle de lois héritées du Royaume-Uni qui faisaient du rocher une démocratie. L’objectif est assumé : faire qu’en 2047, à l’issue du contrat de 50 ans signé par Deng Xiaoping et Margaret Thatcher, l’ex-colonie de la Couronne soit devenue une ville chinoise comme les autres, obéissant au niveau central.
Dernière tension en date : la Cheffe de l’Exécutif de Hong Kong Carrie Lam veut faire voter une loi d’extradition pour quiconque se sera rendu coupable d’un délit parmi une liste de 37. Ceci, vers tout pays, dont la Chine. Le projet de loi maintient une possibilité d’appel et de révision du verdict, mais la décision finale appartiendra au « Chief Executive ». C’est très clairement une conséquence lointaine de la révolution des Parapluies où durant des mois en 2014, 200.000 jeunes avaient occupé le centre d’affaires de l’île, dans l’espoir d’imposer l’élection du Chief Executive au suffrage universel direct. Désormais, Pékin fait le forcing pour trancher à la racine toute velléité d’autonomie ou de contestation. Théoriquement fixé à juillet, le vote au « Legco », le parlement local, est acquis d’avance, après le succès électoral de la coalition pro-Pékin au dernier scrutin, obtenu grâce à un replâtrage des circonscriptions.
À l’annonce du projet liberticide, toutes les nations et organisations occidentales protestèrent, y compris l’Union Européenne, le Canada, le Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, la puissante Commission de Sûreté économique annonça que cette loi poserait des risques pour les citoyens américains, ceux-ci pouvant ainsi être déportés vers la Chine, hors de tout garde-fou juridique international. Si le vote a bien lieu, Hong Kong s’exposera à des sanctions américaines.
A Hong Kong, la mobilisation bat son plein. 80 écoles et universités, 23.000 étudiants ont signé des pétitions, et une manifestation monstre se prépare pour le 9 juin. De son taux de participation, dépendra le retrait ou non de la loi.
Le gouvernement local est bien conscient du coût à payer pour cette aventure juridique. Hong Kong, par exemple, est le banquier de l’Asie. Mais le droit pour l’Etat de déporter toute personne sur demande de Pékin, va tenir à l’écart ses banquiers privés.
Les hommes de loi craignent pour la place de Hong Kong comme première cour d’arbitrage de la région. Sous le coup de cette loi, tout plaignant, ou tout accusé en conflit avec des intérêts chinois, pourrait être remis à Pékin sur sa demande, sous une accusation fondée ou non – dans ces conditions, c’est Singapour qui reprendrait le flambeau.
Les journalistes sont aussi à risque : déjà en 2018, le chef du bureau du Financial Times a été de facto expulsé à l’expiration de son accréditation, manifestement pour avoir animé un débat sur le mouvement indépendantiste. De même bien sûr, ONG et associations de défense des droits de l’Homme se sentent menacés.
Pour l’instant, les promoteurs de la loi tiennent bon : pour Carrie Lam, le vote aura lieu quoiqu’il arrive, et Pékin avertit qu’il s’agit d’une affaire intérieure chinoise. Tout au plus le pouvoir local a-t-il affaibli son texte : des délits moindres sont sortis de la liste des 37, et la condamnation minimum permettant la déportation est portée de 3 à 7 ans de prison.
Entretemps, la relation avec l’étranger se délite : mi-mai, Berlin a octroyé un droit d’asile à deux leaders des Parapluies, réfugiés en Allemagne depuis 2017. Pour Chan Wai-shun professeur à la Chinese University, c’est un avertissement à la RAS (Région Administrative Spéciale) : « la communauté internationale voit grandir ses doutes sur la capacité de Hong Kong à traiter ses dissidents de façon juste et équitable ».
On ne saurait mieux dire : en 2018, Hong Kong (ou plutôt Pékin) a fait bannir le groupuscule des indépendantistes et a fait condamner plusieurs de ses tribuns en herbe, à jusqu’à 16 mois de prison. Plus tôt, opérant clandestinement, des agents chinois en civil avaient drogué et enlevé à Hong Kong ou en Thaïlande, un milliardaire chinois trop bavard, cinq éditeurs-libraires (dont un ressortissant suédois) irrespectueux envers le chef de l’Etat chinois.
Comment la rue hongkongaise réagit-elle ? Hélas, le rejet grandit contre la Chine et les Chinois. Les incidents sont réguliers, dénonçant les écarts de comportement des centaines de milliers de continentaux qui affluent sous quota depuis 22 ans. Ces derniers apparaissent aussi très fréquemment dans les contre-manifestations instiguées par le régime, afin de soutenir les campagnes du grand voisin.
Mais Hong Kong, de plus en plus, exprime son identité : à l’université de Boston, Frances Hui, étudiante hongkongaise, a causé un choc parmi la communauté chinoise en refusant de se présenter comme « chinoise », préférant se déclarer « citoyenne de Hong Kong, ville propriété d’un pays qui n’est pas le sien »…
Autant dire que si la Chine gagne la bataille du sol, celle des cœurs risque de mettre plus longtemps à se régler. Dans les années 60 pourtant, un leader tel Zhou Enlai croyait qu’un tel conflit serait aisément évitable, en évitant le jusqu’au-boutisme et en laissant jouer le temps. Ceci pourrait être interprété comme l’indice d’un temps que le progrès a déserté : succédant à cette tolérance de l’époque du socialisme « à la papa », c’est la radicalisation qui gagne la partie.
1 Commentaire
severy
1 juin 2019 à 16:40Peut-être eût-il fallu titrer cet article: Hong Kong, les raisons de la colère.