En 2015, 358 millions de Chinois, soit la moitié des internautes se servirent de leur portable pour régler une note : sur 12 mois, ce dernier-né des modes de paiement avait gagné 60% en volume d’affaires.
Deux groupes de la toile chinoise s’étaient partagé l’essentiel de ce marché natif : Alibaba (68%, via Alipay) et Tencent (20%, via WeChat Pay). Mais la guerre fait rage : selon iResearch, en 2015 Alipay perdait 14% de ce qui était alors son quasi-monopole, tandis que WeChat gagnait 11%. 200 groupes concurrents se partageaient les miettes des 12% restants du marché : parmi ceux-ci, certains tels Apple Pay et Samsung Pay, nouveaux venus, sont certains de ne pas en rester là, avec leurs offres respectives de milliers d’applications payantes.
D’où la question qui se pose : après avoir sauté l’étape du chèque, la Chine serait-elle en train de faire de même avec la carte bancaire, au profit du paiement mobile ?
Tout bien considéré, ce pays est coutumier du fait, de ce saut sans complexe, comme d’un « petit dernier » dans une famille, qui apprend spontanément ce que l’aîné a mis de longues années à maîtriser. Ici, le téléphone portable a très vite enterré le téléphone fixe, l’impôt du particulier se calcule et se paie en ligne, et en cas d’accrochage automobile, une application existe sur smartphone avant que notre bon vieux « constat-amiable », ait eu le temps de naître…
Comme l’explique Gu Yu, cofondateur de Mileslife (une application d’accumulation de points de fidélité) ce paiement mobile « est une contrepartie du développement tardif du pays ».
C’est aussi, en partie, l’expression d’une liberté associée au smartphone, et d’une certaine méfiance profondément ancrée dans l’homme de la rue, envers les banques, ainsi que leur extension, la carte bancaire.
Fondé en 2002 par 85 banques locales, UnionPay, enregistrait en 2015 selon Bloomberg 2100 milliards de $ (équivalent) de paiements par cartes de débit, et 660 milliards sur cartes de crédit. Or ces 14 ans de monopole national sur la monnaie « plastique », pourraient bien être la cause de sa désaffection actuelle : la concurrence étrangère (Visa, MasterCard…) a été barrée du marché, permettant à la banque locale de mieux exploiter ces centaines de millions de clients privés d’alternative.
Un autre symptôme de ce rejet des banques, est le nombre des fonds de placement alternatifs qui explosent en Chine. Exemple : des fermes « bio » qui offrent à leurs investisseurs individuels, en échange de leur bas de laine, une rémunération en espèces assortie de livraisons hebdomadaires ou mensuelles en produits du terroir garantis cultivés sans chimie… Souvent, les clients de tels circuits, ferment leur compte en banque, ou le laissent dormant.
Le smartphone pour sa part, s’avère bien plus facile et immédiat, qu’il s’agisse de régler son loyer, sa note d’électricité, de restaurant ou de taxi. La clientèle est très jeune : seuls 14% des paiements proviennent d’usagers de plus de 40 ans.
Le succès foudroyant du téléphone portable, comme remplacement du portefeuille, s’explique d’abord par l’intégration des services. Alipay et WeChat ont greffé leurs caisses virtuelles à leurs plateformes commerciales et/ou sociales (Tmall, WeChat), avec passerelles vers les banques. Instantané, le paiement est débité du compte de l’usager, ou de son compte en banque.
Cette souplesse d’usage permet le lien à d’autres applications telles Didi Chuxing ou Ele.me, et à des millions de commerces, de l’épicerie de quartier aux caisses de Carrefour, McDonald’s ou Uniqlo. Pour les clients, le coût de l’opération oscille entre la gratuité et 0,1%, en cas de virement vers sa banque via Wechat.
Autre élément d’explication de sa popularité, le paiement mobile est trop récent pour avoir subi des scandales de piratage ou de détournement : il conserve sa crédibilité auprès du grand public.
Discrètement de leurs côtés, Etat et consortia publics favorisent ce paiement : il promet d’être une source inépuisable de données individuelles, qui alimentent des centaines de millions de profils, pour des usages multiples. Les groupes peuvent affiner leurs offres publicitaires à chacun en fonction de son âge, sexe, de ses affinités. Chaque corps de l’Etat peut puiser dans cette base de données : pour calculer ses besoins en services sociaux, ainsi que l’innocuité ou nocivité de tout un chacun, selon ses besoins…Une telle perspective pourrait être inquiétante pour l’usager du paiement mobile. Et pourtant elle le laisse parfaitement froid.
L’avenir du paiement mobile semble donc radieux, avec une inconnue toutefois, non des moindres : en juillet 2015, la Banque Centrale planchait sur une législation du paiement mobile, et pour protéger l’usager contre lui-même, réfléchit à un plafond maximal de ses dépenses mensuelles en ligne. Depuis lors, plus aucune information n’a filtré sur le sujet. On peut comprendre que l’administration prenne son temps – afin d’accumuler de l’expérience avant de statuer, et de ne pas risquer de compromettre l’avenir de ce marché qui s’avère florissant !
Sommaire N° 22 (2016)